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Roue du Temps et religions orientales

Par Julie, le samedi 13 mars 2010 à 17:09:06

IllustrationLa Roue du Temps de Robert Jordan est l'un des cycles de fantasy épique les plus connus et les plus populaires qui soient, et l'un de ceux qui soulèvent le plus de commentaires de tous genres.
Si les fans se passionnent pour des théories dont certaines demeurent encore sujettes à moultes interprétations - mais qui a tué Asmodean ? -, l'article ci-dessous s'intéresse tout particulièrement à la dimension religieuse du cycle, et notamment à ces possibles influences orientales.
Un autre éclairage, qui mérite le coup d'oeil.

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L'article

Je n’avais pas lu La Roue du Temps depuis très longtemps, pratiquement 20 ans depuis le premier tome. J’avais peur de ne pas y prendre autant de plaisir qu’à l’époque, mais cela n’a pas été le cas. En fait, c’est bien plus amusant cette fois, parce que je peux bien mieux y reconnaitre et apprécier les innombrables références folkloriques et religieuses. Jordan, tel que je le vois, voulait créer un monde qui serait à la fois le passé et le futur du notre, ou plus précisément une vision cyclique du monde, dans lequel l’avant et l’après seraient aussi vrais l’un que l’autre, mais aussi des repères tout aussi inadéquats. La première fois que je l’ai lu, je n’avais pas du tout eu conscience de cela.
En tant que bouddhiste, je suis particulièrement attiré par les influences asiatiques dans La RdT, et fixer mon attention dans cette direction a rendu ma lecture enrichissante et déroutante. Je ne prétends en aucun cas que Jordan aurait intentionnellement écrit une histoire de fantasy bouddhiste, ou qu’il faudrait l’analyser uniquement d’un point de vue bouddhiste, ou plus généralement asiatique. Tout ce que je dis c’est que ça vaut le coup de la considérer sous cet angle.
La RdT ne se conforme à aucune autre perspective religieuse que la sienne, mais si cela représente une grande partie de sa richesse, cela crée également des paradoxes intéressants. En examinant ces paradoxes, j’espère que je n’ai pas l’air de dire « Aha, je t’ai eu Jordan ! » Je n’essaie pas de passer pour plus intelligent que l’auteur. C’est juste que pour moi il y a des éléments qui ne collent pas, et j’aimerais en discuter avec les nombreux experts de Tor.com.


Samsara et Apocalypse

A première vue, la RdT ressemble à de la fantasy complètement occidentale : un mélange de vues abrahamiques, préchrétiennes, celtes et nordiques. Un point de départ assez commun pour la construction d’un monde de fantasy. Le Créateur, Shai’tan, la prophétie messianique dans un discours pseudo-biblique, la polarité de la lumière et de l’ombre, tout converge vers une vue abrahamique. Des noms tels que Gawyn, Galad, Birgitte, Morgase et ainsi de suite ont une très forte consonance arthurienne et celte. Mais il y a une seconde source d’influences dans la RdT, une perspective taôiste/bouddhiste/hindoue présente tout au long de l’histoire. C’est l’entrelacement de l’est et de l’ouest que je trouve fascinant et frustrant à la fois. Je nommerai ces deux points de vue, quasi-incompatibles, samsarique (oriental) et apocalyptique (occidental). Ce que j’appelle la vision apocalyptique est dualiste. Il y a un créateur, le monde a été créé, et peut être détruit. Le bien et le mal sont des forces. La lumière et l’ombre représentent, ou sont les manifestations, du bien et du mal. Il y a la création et la destruction, la naissance et la mort. Ces phénomènes existent en vertu de leur création et peuvent être détruites.
Samsara, dans le bouddhisme et l’hindouisme, est le mot qui fait référence à la mort et à la réincarnation. La plupart des écoles de bouddhisme soutiennent qu’il n’existe ni création ni destruction au sens absolu, mais plutôt des forces qui interagissent à l’infini, se réunissant et se séparant. Les phénomènes, y compris la vie des individus, existent en vertu du contexte plutôt que d'une définition intrinsèque et indépendante. On pourrait dire qu’il n’y a « ni début, ni fin ».
C’est la vision de la plupart des formes de bouddhisme, mais également de certains concepts du taoïsme. L’hindouisme reconnait l’existence d’un cycle de mort et de réincarnation mais diffère considérablement du bouddhisme par sa croyance en l’existence de l’Atman, l’âme absolue. Le point de vue de Jordan sur la réincarnation se rapproche plus de la vision hindoue que bouddhiste, dans la mesure où tout être a une âme, une nature propre qui se réincarne. Rand et Lews Therin ont la même âme, n’est-ce pas ? Le symbole non-occidental le plus évident est, bien sûr, les Aes Sedai, variante du yin et du yang. La roue du temps elle-même, en tant que symbole, s’apparente fortement à la vision samsarique, ressemblant de façon évidente à une autre grande roue, la darmachakra, ou Roue de la Loi, qui, entre autres choses, peut représenter le cercle sans fin de la mort et de la réincarnation. Ensuite il y a le kalachakra, qui se traduit littéralement par roue du temps (je m’y connais peu en bouddhisme tibétain, je m’en remets donc à Wikipedia).
Le début du texte de Jordan ressemble à un mantra, et est pour ainsi dire samsarique. « La Roue du Temps tourne, les Ères se succèdent, laissant des souvenirs qui deviennent légende. La légende se fond en mythe, et même le mythe est depuis longtemps oublié quand reparaît l'Ère qui lui a donné naissance. Au cours d'une Ère, que d'aucuns ont appelée la Troisième, une Ère encore à venir, une Ère passée depuis longtemps, un vent s'éleva ... Ce vent n'était pas le commencement. Il n'y a ni commencement ni fin dans les révolutions de la Roue du Temps. Cependant, c'était bien un commencement.»
Pourtant, il y a le Créateur. Il y a le Ténébreux. Il y a le fait que malefeu puisse, sans l’ombre d’un doute, détruire quelque chose. Il y a création. Il y a destruction. Ceci m’amène à me demander, s’il y a bel et bien création et destruction, comment, dans ce cas, il se fait qu’il n’y ait “ni commencements ni fins”? Est-ce une contradiction, ou est-ce que je passe à côté de quelque chose ? (Voir aussi le post de Leigh pour plus d’informations sur tout ce qui concerne la confusion dans le temps circulaire.)

Salut et réincarnation

Que veut dire le serment si souvent répété : « Je le jure par la Lumière » ? Quel est ici le sens de salut ? Le salut et la réincarnation vont-ils de pair, comme pour dire que le salut est la réincarnation ? Si c’est le cas, c’est à peine plausible que des personnes mauvaises, destructrices, renaissent inexorablement dans la RdT. De plus, comme Leigh me l’a fait remarquer, « des fantômes apparaissent dans les derniers livres ! Que font des fantômes dans un contexte de réincarnation ? » Bonne question.
Si vous considériez tout ceci d’un point de vue abrahamique, le salut signifierait être dans les bonnes grâces de Dieu, plaire à Dieu et obéir à sa volonté. Et la réincarnation ferait référence à la vie après la mort, au paradis, n’est ce pas ? Je n’ai vu dans la RdT aucune indication concernant ni le paradis, ni un danger après la mort. Ou alors je veux trop simplifier les choses ?
“Salut” n’est pas un mot commun dans le bouddhisme. Plus souvent le terme est moksha, que l’on traduit par émancipation, généralement au sens de refuser d’être dominé par l’illusion, la libération du karma qui se répète sans cesse. On ne peut pas vraiment discerner de concept de karma dans la RdT.
Je n’ai pas l’impression que le salut dans la RdT s’intègre clairement à la vision apocalyptique ou samsarique. Qu’est alors le salut dans ce contexte ? De quoi la lumière vous sauve-t-elle ?

Au gré de la Roue

Que signifie les mentions nous rappelant que la Roue tourne ? Est-ce une affirmation ou une résignation face au destin ? Une sorte d’Inch’Allah? Ou cela veut-il littéralement dire que la Roue a une volonté? Si c’est le cas, la Roue de Jordan diffère significativement de la darmachakra ou du Tao. Un dieu a une volonté. Un dieu a un dessein. Il n’est nullement question de volonté dans la darmachakra ou le Tao, pas plus que de gravité.
La Roue du Temps est-elle une force animée ou inanimée ? (Je dois avouer que parfois je m’emmêle un peu entre La Roue et la Toile. Quelqu’un aurait-il une explication rapide pour les différencier ?) Dans Le dragon Réincarné (chap.21), Verin et Egwene discutent de La Roue du Temps et de sa relation à la Toile, et Verin dit que les flots de la Roue forment la Toile des Âges. Cela me semble être plutôt délibéré.
Et pour me rendre encore plus circonspect, voilà ce que Bair dit à Egwene : « La toile ne voit pas jih’e’toh. Seulement ce qui doit l’être et le sera…. C’est n’est qu’en t’en remettant à la Toile que tu commenceras à avoir le contrôle du cours de ta propre vie ». (Les feux du ciel, chapitre 5). La vision que Bair a de la Toile est donc analogue au Tao.

Pas de Religion?

Jordan a dit de la religion dans ses livres : « C’est un monde où ce que l’on pourrait considérer comme des signes religieux est une évidence permanente. Il m’a semblé que les signes extérieurs de religion étaient inutiles, dans l’ensemble ils ne servent qu’à nous conforter dans notre foi…et à convaincre les autres…si vos croyances sont concrétisées et se manifestent autour de vous à tout moment, cela est inutile. » Je déduis de cette déclaration qu’il n’a vu aucune contradiction entre les différentes facettes philosophiques de la RdT.
La déclaration de Jordan selon laquelle la religion n’est pas un problème dans la RdT, car les vérités sont évidentes et au-delà de tout questionnement, ne m’a pas convaincu. Tout d’abord, des doutes subsistent dans la RdT, et la religion en fait partie. Les croyances ne sont pas homogènes dans les livres. Il y a énormément d’ambigüité morale, de mystère, d’incertitude, de questions de besoins individuels opposés aux besoins sociétaux. Cela ne représente-t-il pas la confusion que la religion elle-même cherche à adresser ? Ensuite, même s’il n’existait aucune incertitude théologique dans la RdT, la preuve faite dans la vie quotidienne ne vaudrait pas pour absence de religion, même en recourant à des trésors d’imagination. Même si le métaphysique était aussi évident et palpable que le physique, la présence d’informations irréfutables ne créée pas la sagesse. Le besoin d’une interprétation religieuse ne subsiste-t-il pas ?
Le jih’e’toh et la Voie de la Feuille ne peuvent-ils pas être considérés comme des religions ? Qu’en est-il du Prophète du Dragon et de ses disciples ? Et les Enfants de la Lumière ? N’ont-ils pas tous des « signes extérieurs religieux »?
Enfin, dans la section du Dragon Réincarné mentionnée plus tôt, lorsqu’Egwene fait allusion au paradoxe, Verin dit de façon assez emphatique que le paradoxe et la confusion sont l’apanage du Ténébreux. Je trouve que c’est un commentaire étonnant dans un monde où les preuves de religions sont évidentes.

Dites moi ce que vous pensez

Je serais heureux de savoir ce que vous pensez, même si vous trouvez que j’ai complètement tort. Je suis tout à fait prêt à accepter cette possibilité, mais je souhaiterais une explication. Je sais que dans les commentaires faits aux posts de Leigh, il a été plusieurs fois question de religion, et certaines personnes sont mal à l’aise avec ce sujet en général. Mais nous sommes un peuple civilisé, et je ne vois rien de mal à parler de religion, ou à partager l’influence que votre propre religion a eu sur votre lecture. C’est ce que j’ai fait ici finalement. Je pense que tant que l’on reste éloigné du «  ma religion est plus forte que ta religion », on peut avoir un débat animé, respectueux et instructif.

Article originel sur Tor.com.


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