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Michael Moorcock, l’anti-Tolkien

Par Faith, le samedi 17 janvier 2015 à 15:30:00

MMAlors que l'auteur anglais fait enfin son grand retour en librairie ces jours-ci avec la parution en langue anglaise de The Whispering Swarm, nous avons décidé de vous proposer la traduction d'un article du New Yorker revenant sur la carrière de celui-ci et notamment son positionnement par rapport à J.R.R Tolkien.
Que vous soyez d'accord ou pas avec les éléments de réflexion avancés ici, nous espérons qu'ils vous intéresseront. En tout cas, le forum vous attend pour partager vos impressions sur cet écrivain majeur du genre !

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L'article du New Yorker

Ce mois-ci (NdT : l'article original est daté du 31 décembre), l'auteur Michael Moorcock célèbre son soixante-quinzième anniversaire, ce qui, ironie du sort, tombe précisément le mois où Peter Jackson clôt sa double trilogie de films, débutée avec "Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l'Anneau" et se terminant avec "Le Hobbit : La bataille des cinq armées". Ce dernier est la troisième partie de la trilogie du "Hobbit", adaptée d'un livre qui fut autrefois considéré comme une fable distrayante mais qui a été mis en pièces pour inclure l'histoire dans la continuité des premiers films, tout en essayant de rendre hommage à chaque note, chaque appendice et chaque lettre de J.R.R. Tolkien.

Les films sont d'impressionnants blockbusters Hollywoodiens, et pour ceux qui ont grandi en lisant les livres et en jouant aux elfes dans Donjons et Dragons, ce fut un ravissement de voir ces personnages à l'écran. Gollum, Sauron et Aragorn furent inspirés par des figures mythiques mais sont maintenant si bien intégrés à la culture fantasy et de science-fiction qu'ils en sont eux-mêmes devenus des figures incontournables. Mais Moorcock, un des auteurs de fantasy les plus prolifiques, voit l'oeuvre de Tolkien comme à peine plus qu'une vision conservatrice figée dans un statu-quo, une aventure qui amène son héros dans un "Aller et Retour" plutôt que dans un monde où l'expérience ne permet pas de rentrer ensuite tranquillement chez soi. Moorcock pense que le vaste catalogue de noms, de lieux, d'anneaux magiques et de rois des nains de Tolkien est, comme il le dit à Hari Kunzru en 2011 pour un article du Guardian, "une confirmation pernicieuse des valeurs d'une classe moyenne dépourvue de moralité."

Néanmoins, on peut faire confiance à Moorcock sur ces sujets. Depuis son premier job (l'édition d'un magazine de fans de Tarzan à l'âge de dix-sept ans) jusqu'à son soixante-dixième roman, qui sortira en janvier, il a essentiellement écrit l'autre ligne directrice de la fantasy moderne. Moorcock est l'auteur d'un nombre presque incalculable de nouvelles; il a édité des anthologies, écrit des livres critiques et a vu son roman Mother London sur la liste des nominés pour le Prix Whitbread*. Avec un tel rendement, Moorcock a probablement écrit des navets mais il reconnait rapidement ses limites. Il écrit un jour : "Je me vois comme un mauvais écrivain avec de grandes idées mais je préfère être ça plutôt qu'un grand écrivain avec de mauvaises idées."

C'est aussi une drôle d'ironie qui fait qu'il y a exactement cinquante ans, Moorcock, alors âgé de vingt-quatre ans, s'est vu offert la tête de l'édition du magazine britannique New Worlds. Ce fut là que le jeune éditeur fit passer la vieille garde de la science-fiction et de la fantasy pour dépassée en publiant des auteurs qui, avec une contre culture brûlante sous leurs pieds, changèrent le cap de la science-fiction et de la fantasy : J.C. Ballard, Roger Zelazny et Samuel R. Delany pour n'en citer que quelques-uns. Ce fut aussi là que Moorcock offrit une tribune aux critiques les plus perspicaces sur la large influence de Tolkien.

Moorcock et ses pairs se sont lassés du paysage dominant de la science-fiction : de vastes champs de voyages temporels, du machisme et des vaisseaux spatiaux ainsi que de l'image de monsieur muscle des héros du sous-genre de fantasy "Sword and Sorcery". L'âge d'or de la science-fiction, porté par des auteurs comme Frédérique Pohl, John W. Campbell et Robert Heinlein s'est réduit, dans les années soixante, à un bafouillage recyclant toujours les mêmes idées. Dans les pages de New Worlds, Moorcock a créé une révolution littéraire, une pour laquelle les fans de science-fiction auraient réclamé sa tête. Elle fut nommée Nouvelle Vague et caractérisée par une insistance sur le fait que la fiction d'anticipation n'a pas besoin de reposer sur les pistolets lasers, les martiens à un oeil et les vaisseaux extraterrestres lumineux pour étendre son imaginaire. Les histoires dans New Worlds sous la direction de Moorcock étaient souvent expérimentales, repoussant parfois les frontières de ce qui était considéré par certains comme le bon goût. Son premier éditorial, intitulé "Une Nouvelle Littérature pour l'Âge Spatial" plaçait la barre haut : "De plus en plus de gens se détournent de la mare trop stagnante du roman conventionnel -et ils se tournent vers la science-fiction (ou le roman d'anticipation). C'est un signe, parmi d'autres, qu'une renaissance de la littérature se prépare. Ensemble, nous pouvons accélérer cette renaissance."

Ni la vaste érudition philologique de Tolkien, ni sa grande connaissance de la mythologie, ni sa capacité à construire des mondes ne peuvent impressionner Moorcock et ses compères qui voient dans l’œuvre de Tolkien un infantilisme intrinsèque et ennuyeux. Dans un essai de New Worlds en 1971, l'écrivain M. John Harrison reconnaît à Tolkien sa position d'alpha et d'oméga dans la fiction fantastique mais supplie les lecteurs de regarder de plus près, pour y voir, non pas "le merveilleux chaos de la réalité" mais "la stabilité, le confort et une forme de catharsis sécurisante". En 1978, Moorcock fait une critique plus virulente encore dans un essai intitulé "Epique Winnie"* dans lequel il compare Tolkien et ses hobbits à A.A. Milne et son ourson. Mais le message n'est toujours pas passé. En 1973, bien avant que les personnages de Tolkien deviennent des phénomènes d'Internet ou des figurines Lego, l'universitaire anglais meurt, laissant derrière lui un paysage de la culture populaire rapidement colonisé par des elfes, des orcs et des hobbits. Tolkien apparaît aussi dans des chansons, dans les parodies du Harvard Lampoon et dans les slogans hippies ("Frodon est vivant!"). Dès les années quatre-vingt, Le Hobbit et la trilogie du Seigneur des Anneaux donnent aussi naissance à des adaptations sous la forme de dessins animés ou de films d'animation mais s'imposent aussi comme la tendance dominante des livres, jeux et films de fantasy.

Puisque Moorcock est un auteur de fiction, il est normal qu'il offre une critique de Tolkien à travers son oeuvre. Dans les années soixante-dix, errant dans les ténèbres tel un rémora en marge de l'héritage de Tolkien, évolue une sorte de héros d'une nature légèrement plus sombre que celle de Bilbo ou de Gandalf. Son nom est Elric, un albinos chétif et toxicomane ainsi que le dirigeant réticent du royaume de Melniboné, où la vengeance et l'hédonisme sont les maître-mots et où les humains sont réduits en esclavage. Les habitants de Melniboné ne sont pas les elfes spirituels, presque angéliques, de la Lothlórien, mais une race d'autocrates décadents dont les pouvoirs magiques proviennent de démons. Bien qu'Elric aime son peuple, il méprise leur égoïsme et les histoires de ces romans nous le font suivre à travers des lieux et des temps étrangers alors qu'il tente de régler son propre conflit intérieur, accompagné par Stormbringer, une épée douée de sensations qui se nourrit des âmes des victimes d'Elric.

L'influence de Moorcock n'a rien à voir avec celle de Tolkien, du moins en surface, mais son idée que le genre de la fiction spéculative peut contenir une complexité psychologique devient évidente dans la sophistication très poussée de certaines œuvres; de "True Detective" à Jeff VanderMeer en passant par David Mitchell ou encore "Under the Skin" ("Dans la peau"). Mais Moorcock apprécie aussi la culture populaire et comme Tolkien, son oeuvre contient des noms et des références de tous les niveaux.

Le Rock'n'roll s'est révélé être un des moyens les plus efficaces pour entériner à la fois les personnages de Tolkien et ceux de Moorcock dans la culture populaire. Malgré toutes les accusations de satanisme lancées contre Led Zeppelin, Satan ne fait qu'une seule apparition dans leurs chansons. Leur vraie allégeance va à Tolkien, avec des références à Gollum, au Mordor, aux Monts Brumeux et aux Spectres de l'Anneau. Cependant Moorcock a atteint la majorité pendant l'ascension du rock et a compris le potentiel qu'il représentait pour donner vie à ses créations. Moorcock a travaillé directement avec des groupes comme Hawkwind et Blue Öyster Cult en tant que leader à la fois spirituel et littéraire. Et, tout comme les personnages de Tolkien, les héros et anti-héros de Moorcock apparaissent dans des bandes-dessinées et des jeux de rôles. Mais bien souvent sa présence est marquée par de fines allusions comme dans la série télévisée "Game of Thrones" lorsque quelqu'un crie "Stormbringer" quand le Roi Joffrey demande des noms possibles pour sa nouvelle épée. L'agitation littéraire de Moorcock a secoué les fondations de la fantasy et de la science-fiction et a permis aux auteurs de sortir de l'ombre de Tolkien ainsi que d'autres clichés de la fantasy. Le frêle Elric, comptant sur une épée dévoreuse d'âmes pour empêcher la complète dissolution de son royaume est un contrepoids nécessaire au développement d'une entité comme la trilogie cinématographique du "Hobbit". Elric n'est en aucun cas du grand art mais il est aussi riche et complexe que n'importe quel personnage dit de fantasy. Et les histoires d'Elric sont terriblement distrayantes.

Mais plus important encore, Elric n'a rien à voir avec les idées abstraites du bien et du mal, ni avec des pouvoirs sans visage cherchant à raser les arbres et faire disparaître les trous de hobbits de la surface du monde. Le cycle d'Elric parle d'ordre et de chaos ainsi que parfois, le fait de choisir l’un aux dépends de l’autre, n’est pas plus ou moins juste.

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