La ronde de nuit

ISBN : 978-274366624-8
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Bora Chung (Proposer une Biographie)

Après le succès de Lapin maudit (Matin Calme, 2023), l’autrice star Bora Chung revient avec un roman composé de sept histoires fantastiques se déroulant dans un étrange institut de recherches spécialisé dans les phénomènes paranormaux.

Critique

Par Gillossen, le 07/04/2025

Avec La ronde de nuit, Bora Chung poursuit l’exploration d’un fantastique où l’absurde et l’inquiétant (on songera à une certaine basket…) s’entrelacent dans la lignée de Lapin maudit, mais avec une unité thématique plus marquée.
Ici, les sept nouvelles qui composent le “roman” gravitent toutes autour d’un institut de recherche dédié aux phénomènes paranormaux, offrant un cadre propice aux expérimentations de tous bords et aux basculements entre le rationnel et l’irrationnel.
Si le format du recueil impose d’ordinaire une diversité de tons et de registres, Bora Chung parvient à insuffler une cohérence d’ensemble, non seulement par ce lieu commun qui traverse les récits, mais aussi via ses récurrences stylistiques et thématiques. On retrouve cette écriture incisive, faussement détaché dans le ton, qui sait aussi bien décrire le grotesque que le tragique. Les corps y occupent encore une place prépondérante : corps souffrants, corps altérés, corps transformés, mais surtout corps instrumentalisés, devenant souvent le terrain d’expériences (dans la vie ou l’au-delà…) aussi absurdes que terrifiantes.
Le centre lui-même n’est qu’un cadre, une monture, pour le véritable cœur de ses textes. Après tout, il ressemble davantage à un refuge au fil des pages pour ceux qui le peuplent, car ce sont bien souvent les tréfonds les plus sombres de l’âme humaine qui se révèlent à l’origine de tant de souffrances. Le lecteur oscille ainsi entre malaise et fascination face à des angoisses bien plus universelles. Que cherchent vraiment ces âmes tourmentées, de même que leurs tourmenteurs ? À comprendre l’inexplicable ou à en devenir les maîtres ? Comme souvent chez cette autrice, la frontière entre l’humain et le monstrueux se brouille très vite.
Loin d’un fantastique gothique ou d’un simple plaisir du macabre, La ronde de nuit privilégie une horreur plus sourde, celle qui s’immisce dans les failles du quotidien et détourne imperceptiblement la normalité. Le recueil est parcouru d’une ironie amère, souvent cruelle et parfois presque tendre (envers les victimes, uniquement, précisons-le) , qui rappelle que l’horreur naît aussi des institutions et des règles absurdes que nous nous imposons, tout comme du tout-venant. On pense parfois à Kafka, parfois à Bulgakov, mais avec cette touche résolument contemporaine qui fait tout l’intérêt du style de l’autrice.
Le classique “centre de recherches” offre donc une cohésion certaine  à l’ensemble, même si je dois dire avoir bousculé davantage par son précédent ouvrage. Toutefois, on y retrouve donc le même ton, et une volonté de mettre en avant les oubliés et les plus faibles. Si certaines nouvelles marquent plus que d’autres – notamment Mouton maudit, vertigineuse dans sa construction ou Pourquoi le chat ? qui aborde aussi bien les féminicides que le sort des animaux – La ronde de nuit affirme le talent singulier de Bora Chung pour tisser des récits où le surnaturel n’est jamais une fin en soi, mais un prisme à travers lequel observer les fragilités humaines.
Un ouvrage dérangeant et captivant, qui s’inscrit parfaitement dans la continuité de son œuvre. 

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