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Plus c’est long, plus c’est bon ?

Par ThinkBecca, le lundi 19 septembre 2011 à 17:53:30

ADWDRien n'est moins sûr...
Tout fan de fantasy et de grandes sagas le sait : le genre impose d'apprendre la patience. Et les fans du Trône de Fer en sont d'autant plus conscients depuis que certains d'entre eux ont découverts avec A Feast for Crows que l'attente pouvait aussi s'accompagner d'une déception, d'autant plus accentuée que A Dance with Dragons a lui aussi tardé à arriver en librairies (ce qu'il n'a d'ailleurs toujours pas fait en version française).
En partant de cet exemple très actuel et très médiatisé, Zack Handlen de l'A.V. Club a rédigé un billet d'humeur sur l'attraction qu'exercent ces longues séries de fantasy mais surtout sur leurs dangers pour le lectorat (attente, déception, rallonges inutiles,...), le tout illustré par quelques exemples comme La Roue du Temps, La Tour Sombre ou les séries TV.
Vous pouvez trouver la traduction de cet article ci-dessous.

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L'article de Zach Handlen

Durant les mois qui ont précédé la publication d’A Dance with Dragons, le cinquième tome de la série du Trône de Fer de George R.R. Martin, l’auteur est resté en contact avec ses fans au travers de son compte LiveJournal. Dans son blog « Not A Blog », Martin annonçait les prochains évènements, faisait des commentaires sur la saison de football en cours et, occasionnellement, racontait comment avançait son livre. Ses lecteurs voulaient à tout prix des informations. Le premier roman du Trône de Fer a été publié en 1996, et les deux tomes suivants (A Clash of Kings et A Storm of Swords) ont été mis en vente tous les deux ans. Mais là, il avait fallu attendre cinq ans après A Storm of Swords pour que le quatrième tome, A Feast for Crows, soit publié. L’attente a été frustrante pour pas mal de fans, mais A Feast for Crows était une sorte de compromis, plus proche d’un amuse-gueule destiné à faire patienter les lecteurs que d’une véritable progression dans la narration. A Feast for Crows était rempli de morceaux d’intrigue très bien ficelés, mais qui semblaient sortis de nulle part et qui ne sont pas parvenus à tenir en haleine comme l’ont fait les trois premiers tomes.
Bien sûr, le Trône de Fer n’est pas encore terminé, et il y a toutes les chances que Martin rassemble toutes ces intrigues en une seule. A Dance with Dragons semble suivre cette tendance, et bien qu’il soit aussi frustrant que A Feast for Crows, au moins il nous fait espérer la résolution tant attendue des intrigues dans un avenir proche. Mais cela soulève un autre problème : l’attente. Il aura fallu six ans à Martin pour finir A Dance with Dragons, après A Feast for Crows. Et même s’il approche de la fin de sa série, il lui reste au moins deux tomes à écrire avant d’arriver à la conclusion. Avec un peu de chance, ces derniers tomes prendront moins de temps à écrire que les précédents, mais ça n’en rend pas moins pénible d’arriver au dernier chapitre de A Dance with Dragons (qui s’achève évidemment sur un cliffhanger) et de réaliser qu’il va falloir attendre longtemps avant d’avoir le fin mot de l’histoire.

Certains lecteurs de Martin n’ont pas fait preuve de beaucoup de patience et de bonne volonté à la sortie de Dragons. En réalité, la critique a parfois été si virulente que Neil Gaiman s’est senti obligé d’écrire un article disant explicitement – au cas où certains auraient des doutes à ce sujet – que George R.R. Martin n’est pas votre boniche (en anglais : George R.R. Martin is not your bitch), expliquant que les écrivains et les artistes ne sont pas des machines et que le devoir d’un auteur envers ses lecteurs s’arrête lorsque le livre est achevé.
Les fans les plus critiques de Martin postaient chaque jour des commentaires sur son blog, ainsi que sur les forums chaque fois que Martin racontait qu’il faisait quoi que ce soit qui n’était pas directement en rapport avec l’écriture de son roman. L’article de Gaiman (en réponse à un e-mail qui reprochait un manque d’actualités de la part de Martin) a peut-être aidé à calmer ces enragés, et la publication de A Dance with Dragons n’a fait qu’améliorer la situation. Mais la controverse soulève des questions intéressantes sur les attentes des fans, les obligations des auteurs ou les dangers d’écrire une longue série de romans.

Même si Martin garde le contrôle de son histoire, on peut difficilement nier le fait que la série a débordé du cadre qu’il lui avait initialement donné (Le Trône de Fer était censé être une trilogie, alors que Martin planifie maintenant sept tomes). Il ne serait pas le premier auteur à se perdre dans son travail. L’Œil du Monde, le premier tome de la série La Roue du Temps de Robert Jordan, commence comme un pastiche évident de Tolkien, mais Jordan a conçu un monde complexe et son concept de base, un héros destiné à détruire le monde pour le sauver, était suffisamment impressionnant pour attirer de nombreux lecteurs. Alors que la série se poursuivait, elle a développé sa propre perspective, et certains se sont plaint quand, après le troisième tome (Le Dragon Réincarné), il devenait clair que ce qui avait été conçu comme une trilogie allait se transformer en série plus longue. Du moins au début. Puis six livres en sont devenus sept, puis huit… avec aucune véritable fin en vue, et les fans se sont lassés.
Soyons honnêtes, ils en avaient le droit. Si La Roue du Temps n’a jamais été aussi originale que Le Trône de Fer, la série était plutôt excitante, utilisant habilement les conventions du genre et, surtout, elle avait une dynamique propre et donnait vraiment l’impression de tendre vers quelque chose de précis. Cette impression a commencé à passer dans les tomes suivants, tandis que la narration se perdait dans des intrigues complexes et des ellipses de récits qui menaient dans des culs-de-sacs. Quand Jordan est décédé en 2007, La Roue du Temps s’était étendue sur 11 volumes et n’était toujours pas achevée. La famille de Jordan a choisi l’écrivain de fantasy Brandon Sanderson pour compléter l’œuvre à partir des notes de Jordan et de certains de ses travaux, mais la tâche s’est révélée tellement énorme que Sanderson a dû séparer ce qui était censé être un seul livre en trois tomes supplémentaires. Heureusement, c’est plutôt bien fait, mais cela ne change pas le fait que l’homme qui a commencé cette histoire ne sera pas là pour en voir le dénouement.

Les sagas de fantasy (et les narrations longues quel qu’en soit le genre, que ce soit de la prose, des films ou des séries télévisées) ne sont pas faciles à mener à bien, mais les auteurs s’acharnent et les gens continuent d’acheter, malgré l’inévitable déception que ces séries entraînent. Il n’est pas difficile d’en comprendre l’attrait. Tout en sachant que le tome Z sera probablement moins bon que le tome A, l’idée d’investir dans des personnages et un univers qui perdureront reste attractive. Les suites et remakes de films attirent toujours le public, parce qu’ils offrent quelque chose de simple : la promesse de revoir ce qu’on avait aimé la première fois, une chance de revivre les émotions ressenties en voyant le film précédent, mais dans un contexte différent qui nous donne une illusion de renouveau. (Savoir si ces films nous fournissent effectivement cette sensation est une toute autre question).
Une suite de romans ou une série télé qui dure plusieurs saisons et qui a une intrigue suivie s’en sort mieux, en créant une illusion de continuité. Les personnages évoluent, changent et l’univers dans lequel ils vivent persiste dans l’esprit du lecteur ou du spectateur, avec quelques modifications apportées de temps en temps par le créateur pour donner une impression de nouveauté.
Là où ça se complique, c’est quand nous, public, commençons à nous investir personnellement dans la série. Les livres sont quelque chose d’intime, qui créent une relation personnelle qui dure des heures ou des jours, et plus la relation dure, plus il est difficile d’accepter qu’elle est à sens unique. Une année, mes parents m’ont offert les trois premiers tomes de La Tour Sombre de Stephen King, pour Noël. Je les ai dévorés et j’en voulais plus, mais on était en 1992 et il fallut attendre cinq ans pour lire le prochain tome de la série, Magie et Cristal. J’ai attendu, acheté le tome suivant, je l’ai dévoré, et j’en voulais toujours plus. Mais en 2003, quand Stephen King a annoncé qu’il achevait la série, elle avait perdu de son intérêt à mes yeux. Je n’avais pas accroché aux Loups de la Calla, ni au Chant de Susannah. Et même si le dernier tome, La Tour Sombre, a quelque peu redoré le blason de la série à mes yeux, j’étais toujours frustré et déçu. King avait une idée tellement originale et grandiose dans les premiers tomes ! Quand il s’en est éloigné, quand il a perdu du temps sur des intrigues et des morceaux d’histoire qui servaient à complexifier plutôt qu’appuyer l’absurdité de l’intrigue, je me suis senti… offensé, d’une certaine façon. Une écriture maladroite m’énerve toujours, mais là c’est différent. C’est personnel. J’étais attaché à ces personnages, et King faisait n’importe quoi avec eux. Pourquoi agissait-il ainsi ? Pourquoi me laissait-il tomber ?
Plus on s’attache à une fiction, plus il est facile de perdre toute objectivité quand on sent que les artistes ne nous satisfont plus autant. La seconde moitié de La Tour Sombre était-elle moins géniale ? Bien sûr, mais vu comment il avait commencé l’histoire, King l’a finie de la seule manière possible. En repensant aux tomes précédents, il est facile de voir les signes avant-coureurs y compris dans les premiers livres. King n’a jamais été très doué pour créer des mythologies consistantes, ou préparer une fin solide pour une histoire longue, alors les maladresses dans Les Loups de la Calla et Le Chant de Susannah étaient probablement inévitables depuis le début. Par le passé, j’ai accepté ces échecs, mais là, étant donné le temps que j’ai passé dans l’Entre-deux-Mondes et le Monde Ultime, avec ce bâtard de Roland Deschain, c’est comme si j’avais gâché des années – ou pire, comme si King me les avait volées en faisant des promesses qu’il ne pouvait décemment pas tenir. C’est difficile de ne pas être bouleversé par tout ça, un peu comme il a été difficile pour moi de ne pas me sentir floué quand J.K. Rowling a achevé sa superbe saga avec ce septième tome confus, parfois un peu mou, Harry Potter et les Reliques de la Mort. Tout comme il a été difficile pour les fans de ne pas être choqué lorsque la dernière saison de Lost n’a pas répondu à leurs questions.

Au fil de la série, ça fonctionne généralement bien, et il devient facile de supposer que les défauts font partie du plan, que chaque conversation maladroite, chaque élément étrange finira par se révéler utile dans les pages qui suivent. Ça met une certaine pression sur la fin de l’histoire. La narration est conçue pour tendre vers une fin, et plus elle est longue, plus la construction à mener est complexe; bien qu’il soit possible d’apprécier chaque moment présent, ce type d’histoires repose sur le besoin de savoir ce qui se passera ensuite. Ça ne fait qu’ajouter au poids qui repose sur la conclusion. Et quand vous avez une histoire qui dure depuis longtemps, la pression est d’autant plus intense. Plus la série est longue, plus on accumule d’attentes et d’envies, et plus l’intimité se fait sentir, un peu comme une histoire d’amour à distance où l’on se jure engagement et fidélité. On a besoin d’une fin qui nous confirme qu’on a partagé cette même réalité, qui soutient les regards extérieurs, qui achève la trame qui avait été entamée, qui tient les promesses qui avaient été faites et transforme un fragment de vie en quelque chose de complet.

C’est quasiment impossible. L’une des techniques qu’ont les auteurs de sagas pour rassurer les lecteurs sur le fait que tout se passera bien, c’est de dire je sais déjà comment ça finit. C’est supposé nous faire croire que toutes les ellipses et éléments étranges de l’histoire sont voulus, parce que oui, il y a bien quelqu’un qui sait dans quelle direction on va. Sauf que les histoires sont compliquées. Elles se développent tout autant au fil de la plume qu’elles ne sont planifiées au départ. Avec un roman stand alone, ça n’est pas un problème : l’auteur écrit un brouillon, aplanit les points qui ne le satisfont pas dans son histoire, et le publie lorsqu’il se sent prêt. Mais en publiant chaque tome séparément, avant que les autres ne soient terminés, George R.R. Martin nous fait en quelque sorte lire son brouillon. Cela fait qu’il est impossible pour lui de revenir en arrière et de changer quelque chose qui ne va pas. Aucun des romans de cette série n’est vraiment maladroit ou ne manque de fignolage, mais tous les évènements qui s’y sont passés sont maintenant gravés dans le marbre. Alors si Martin se retrouve dans une ornière pour son intrigue, il ne pourra pas simplement la laisser de côté et y revenir plus tard. Il doit s’arrêter, et faire en sorte que ça fonctionne tout de suite. Avec chaque nouvelle intrigue dans la série, ça signifie qu’il a plus d’éléments à garder cohérents, plus de mots gravés dans le marbre sur lesquels il ne pourra pas revenir… Je suis sûr qu’il a une idée en tête pour la fin, mais qui sait si c’est la même que celle qu’il avait il y a quinze ans ? Et si oui, peut-il vraiment être sûr qu’elle convient, après tout ce qu’il a pu écrire ?
La seule solution pour les lecteurs est d’apprécier ce qu’on leur donne, quand on le leur donne. Neil Gaiman a eu raison de rappeler à chacun que les écrivains ne sont pas des machines. La quantité de travail que Martin ou tout autre artiste peut fournir n’est pas seulement une question de temps et de bonne volonté, et essayer de forcer les choses ne va rien y changer. On devrait vraiment juste se préparer psychologiquement au sentiment d’abandon que ne manquera pas d’apporter la fin, quelle qu’elle soit. Même si Martin réussit son coup, qu’il parvient à nous la donner exactement comme il l’avait promis, ça ne suffira pas. Le grand paradoxe des sagas de fantasy, c’est qu’on n’en peut plus d’attendre la conclusion, mais qu’on voudrait qu’elles ne se terminent jamais.


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