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Le garçon qui vivra pour toujours

Par Nak, le mercredi 27 novembre 2013 à 21:14:21

HPSavez-vous ce qu'est la fan-fiction ? Oui, non, peut-être, un peu ? Vous voulez en savoir plus ?
L'article qui suit est un petit bijou. Vraiment. Tout y est expliqué, tous les arguments pour et contre sont présentés, le tout est étayé par de bons (et parfois surprenants) exemples.
N'hésitez pas à courir sur le forum une fois l'article lu, car il y a matière à un beau débat... et éventuellement un petit sondage pour savoir combien de personnes auront eu envie de lire de la fanfic après avoir lu cet article !

L'article traduit

J.K. Rowling ne va probablement plus écrire de livres sur Harry Potter. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en aura plus. Cela signifie simplement qu'ils ne seront pas écrits par J.K. Rowling. A la place, ils seront écrits par des gens comme Racheline Maltese.
Maltese a 38 ans. Elle est actrice et écrivain professionnelle – articles de presse, critiques culturelles, fictions et poésies. Elle se décrit elle-même comme étant étrange. Elle vit à New York. Elle est fan d’Harry Potter. Parfois, elle écrit des histoires sur Harry et les autres personnages de l’univers Potter et les met en ligne gratuitement. Pour moi, c'est un peu comme un jeu d’acteur ou d'improvisation, dit Maltese. Vous prenez des personnages connus. Vous les confrontez à un ensemble de circonstances données. Ensuite, vous attendez et vous regardez ce qui se passe.
Maltese est écrivain de fan-fiction: des histoires et des romans qui utilisent des personnages et des cadres issus du travail créatif d’autres personnes. La fan-fiction est ce à quoi la littérature pourrait ressembler si elle était réinventée à partir de zéro après une apocalypse nucléaire par une bande de junkies brillants issus de la culture pop piégés dans un bunker hermétique. Ils ne le font pas pour de l'argent. Ce n'est pas ce dont il s'agit. Les écrivains écrivent et les mettent en ligne juste pour le plaisir. Ils sont fans, mais ils ne sont pas silencieux, ce ne sont pas des consommateurs de médias accros au canapé. La culture leur parle et ils lui parlent en retour, dans sa propre langue.
À l'heure actuelle la fan-fiction est toujours l'équivalent culturel de la matière noire: c'est en grande partie invisible pour le grand public, mais en même temps, c’est énorme. La fan-fiction est antérieure à Internet, mais le Web a rendu exponentiellement plus facile le fait de parler et d'être entendu, et il contient des centaines de millions de mots de fan-fiction. Il y a des fan-fictions basées sur des livres, des films, des séries TV, des jeux vidéo, des pièces de théâtre, des comédies musicales, des groupes de rock et des jeux de société. Il y a des fan-fiction basées sur la Bible. Dans la plupart des cas, la quantité de fan-fiction produite par rapport à un travail donné est volumétriquement plus conséquente que le travail lui-même, et dans certains cas, la qualité est aussi supérieure à celle de l'original. FanFiction.net, la plus grande archive sur le Web (même si ce n’est que l’une d’entre elles), accueille plus de 2 millions de pièces de fan-fiction, dont la longueur varie des très courtes nouvelles jusqu’aux romans-fleuves. La section Harry Potter contient à elle seule, au moment de la publication de cet article, 526 085 entrées.
Personne ne se fait d'argent grâce à la fan-fiction, mais savoir si quelqu'un perd de l'argent à cause d'elle est une autre question. Les gens qui créent les œuvres empruntées par la fan-fiction sont très divisés là-dessus. Rowling et Stephenie Meyer ont donné aux fan-fictions d'Harry Potter et de Twilight leurs bénédictions ; au minimum, la fan-fiction a agi comme agent de marketing viral pour leur travail. D'autres auteurs considèrent cela comme une violation de leurs droits d'auteur, voire de leur revendication affective envers leurs propres créations. Ils ont le sentiment que leurs personnages leur ont été enlevés par des inconnus.
Vous pouvez voir les deux aspects de la question. Les personnages appartiennent-ils à la personne qui les a créés ? Ou aux fans qui les aiment si passionnément qu'ils passent leurs nuits et leurs week-ends à travailler pour prolonger la vie de ces personnages, gratuitement ? Il y a une division ici, une ligne de faille géologique, qui semble petite en surface, mais qui est profondément ancrée dans notre culture, et les plaques tectoniques ne font que s’éloigner. Est-ce que l’art consiste à faire de nouvelles choses ou à transformer la matière première disponible ? Couper, coller, faire des échantillonnages, remixer et écraser sont devenus des modes d'expression culturelle traditionnels, et la fan-fiction fait partie de cela. Elle remet en cause à peu près tout ce que nous pensions savoir sur l'art et la créativité.


Un monde étrange

Vous pourriez commencer une histoire de fan fiction dans n’importe quel endroit, mais l'un d'eux est The Man from U.N.C.L.E. (Des agents très spéciaux en français), une série télé sur les agents d'une organisation d'espionnage internationale appelé le United Network Command for Law and Enforcement (Commandement uni du réseau pour la loi et son application). Elle s’est déroulée sur quatre saisons, de 1964 à 1968, et même si elle n'a jamais eu un succès retentissant – elle a culminé à la 13e position en 1965 – elle avait une autre qualité, moins facilement définissable. Elle a attiré non seulement des téléspectateurs mais aussi des fans : des gens pour qui le monde dans lequel The Man from U.N.C.L.E. a eu lieu était tellement réel qu'il semblait y avoir une vie au-delà du spectacle, comme si on pouvait tourner la caméra sur elle-même et ne pas voir un studio de télévision, mais une planète entière peuplée par des hommes, des femmes et des enfants d’U.N.C.L.E. Les fans ont publié des fanzines photocopiés et ronéotypés sur le sujet, et quelques-uns des fanzines ont publié des histoires originales qui avaient lieu sur ce monde.
Le terme générique pour désigner la culture des fans organisée autour d’une franchise médiatique donnée est fandom. Le fandom de The Man from U.N.C.L.E. (parfois abrégé en Muncle) a fourni un modèle pour ce qui était à venir. Star Trek est apparu sur les ondes en 1966, et le premier fanzine sur Star Trek est paru en 1967. Il a immédiatement porté le titre définitif de Spockanalia.
Même à l'époque , il était évident que la fan-fiction n'était pas seulement un hommage à la gloire de l'original, mais en était aussi une réaction directe. Il s'agissait de trouver les limites que l'original ne pouvait ou ne voulait pas briser, et de les casser. Le numéro 3 de Spockanalia inclut une histoire appelée Visite d'une planète étrange, dans laquelle Kirk, Spock et Bones sont transportés à l’endroit où Star Trek est filmé et sont pris pour les acteurs qui y jouent (Bones : Je suis un médecin, pas un acteur !). Spockanalia n° 4 a publié un article dans lequel Spock a une liaison avec un autre officier de la Fédération. Ce sont des hommages à Star Trek, mais en même temps ce sont des critiques : J'aime la série, mais si on allait plus loin ? Qu’est-ce qu’il se passe si j'appuie sur ce gros bouton rouge brillant qui dit Ne pas appuyer ?
C'était une façon de mettre en évidence des sous-entendus cachés auxquels la série ne pouvait pas répondre. Par exemple, et si l'amitié tendue et pleine de rivalité entre Kirk et Spock incluait une attirance sexuelle sous-jacente ? Ce n'est pas une idée à laquelle Hollywood pourrait toucher, mais en 1974 un fanzine Star Trek réservé aux adultes appelé Grup a publié une histoire intitulée Un fragment hors du temps, mettant en scène Kirk et Spock dans une scène d'amour gay. (Les personnages n'ont pas de noms, mais sont reconnaissables, et de toute façon les illustrations les révèlent.)
Le principe établi par Un fragment hors du temps est devenu si populaire qu'il a acquis un label de raccourci : Kirk/Spock, ou tout simplement K/S, et finalement juste slash. Slash est depuis devenu un terme générique pour toute fan fiction qui associe deux personnages de même sexe, que ce soit Holmes/Watson, Cagney/Lacey ou Rogue/Harry. Ça peut être un verbe, quelque chose que vous pouvez faire : si vous avez écrit une histoire dans laquelle Edward et Jacob de Twilight se mettent ensemble, vous les avez slashés.


Un jeu amusant

Il y a beaucoup d'idées fausses qui circulent à propos des gens qui écrivent des fan-fictions et pourquoi ils les écrivent, donc démolissons quelques-unes d'entre elles dès maintenant. Les écrivains de fan-fiction ne sont pas pornographes. (Cette perception est tellement omniprésente que, pour éviter tout problème avec leurs amis et collègues, beaucoup des gens interviewés pour cet article ont refusé d’apparaître sous leurs vrais noms.) Il y a beaucoup de sexe dans les fan-fictions, mais ça représente seulement une petite part de l'ensemble. Les écrivains de fan-fiction ne sont pas des plagiaires qui ne peuvent pas avoir leurs propres idées, et ils ne sont pas tous des amateurs. Naomi Novik, dont les romans de Téméraire sont des best-sellers et sur lesquels Peter Jackson, qui a dirigé les films du Seigneur des Anneaux, a posé une option, écrit de la fan-fiction. Ecrire de la fanfic n'est pas un travail, c'est un jeu amusant, dit-elle. Le problème c’est que pour la plupart des gens, n’importe quel type d’écriture représente un travail pour eux, donc ils ne comprennent pas pourquoi quelqu'un voudrait écrire de la fanfic plutôt que du contenu original, même s’ils n'ont aucune difficulté à comprendre pourquoi quelqu'un voudrait perdre son temps à jouer du Simon et Garfunkel à la guitare.
Les écrivains de fan- fiction ne sont pas les gars qui vivent dans le sous-sol de leurs parents. Ce ne sont même pas tous des gars. Des sources non officielles suggèrent que la plupart des fan-fictions sont plutôt écrites par des femmes. (Ils ne sont pas non plus tous des écrivains. Ils dessinent, peignent, font des vidéos et des comédies musicales. Darren Criss, actuellement habitué de Glee, a laissé sa marque sur la fan-production A Very Potter Musical, qui est trouvable, et tout à fait regardable, sur YouTube). C'est aussi une activité intensément sociale, communautaire. Comme le punk rock, la fan-fiction est par nature ouverte, et les gens passent autant de temps à traîner et à parler les uns avec les autres sur le sujet qu’à en lire et en écrire. Je suis dans le fandom depuis début 2005, quand j’allais avoir 12 ans, explique Kelli Joyce. Pour moi, en commençant si jeune, la fanfic est devenue mon professeur d'anglais, ma classe d’éducation sexuelle, mon passe-temps favori et la découverte de certains de mes amis les plus chers. Elle m'a aussi donné un cours intensif sur la justice sociale et la manière de respecter et de célébrer la diversité, à la fois des personnages et des écrivains de fiction.
Diversité : la fan-fiction est hyper tolérante. Vous y trouverez toutes les races, les nationalités, les origines ethniques, les langues, les religions, les âges et les orientations sexuelles qui y sont représentées, à la fois parmi les auteurs et les personnages. Pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans les médias qu'ils regardent, c'est une façon de prendre ces médias dans leurs propres mains et d’en corriger l'image. Pour moi, la fanfic est en partie un acte politique, dit XT. La MGM est trop lâche pour mettre un homme gay dans un de leurs blockbusters de plusieurs millions de dollars ? Et ils veulent que je sois satisfait avec des miettes de sous-entendus occasionnels qu’ils me jettent du haut de la table? Pourquoi le devrais-je?


Alternity et au-delà

La fan-fiction est un monde en soi, avec ses propres règles, ses genres et ses conventions. Elle a son propre écosystème de poche - l'équivalent littéraire de l'Australie. Il n'y a pas moyen de donner une taxonomie définitive voire même seulement convaincante de la fan-fiction, car elle est énorme, en constante évolution et fait constamment l'objet de débats internes bouillants, mais si vous vouliez lui porter un coup idéaliste, il faudrait commencer par ses canons. Canon, au sens fan, se réfère à des faits et des lois d'un univers fictif donné comme exposés par son créateur : Harry Potter est un sorcier, ses parents sont morts, et ainsi de suite. Certaines fan-fictions coexistent pacifiquement avec leurs canons et fonctionnent à l'intérieur de leurs contraintes. On peut penser que ça ne laisserait pas beaucoup de place à la créativité, mais on aurait tort.
Les univers fictionnels, alors qu'ils semblent solides, sont criblés de taches blanches et de surfaces non exposées. Il y a un moment vers la fin de Harry Potter et la Coupe de Feu, où Dumbledore suggère avec désinvolture que Sirius Black devrait se terrer chez Lupin pendant un certain temps, faisant référence à l'ancien professeur de Harry, Remus Lupin. Qu'est-ce Sirius et Remus font exactement là-bas, chez Lupin, alors qu'ils s’y terrent ? A quel niveau ils se terraient ? (Tousse, slash, tousse). Rowling n'a jamais rien dit, mais ce tout petit espace a donné lieu à tant de fan-fiction que se terrer chez Lupin est devenu un trope reconnu de la fan-fiction de Harry Potter, un sous-sous-genre à part entière.
C'est dans la nature humaine de tirer sur les limites de l’histoire, de tâtonner sur les bords, de vouloir savoir ce qui se passe juste en dehors du champ de la caméra. La fan-fiction regorge de préquelles et de suites, de scènes manquantes restaurées et de patchs sur les trous du scénario. Elle raconte les canons de l’histoire via de nouveaux points de vue - une relecture instantanée à contrechamp. Comment les événements du Prisonnier d’Azkaban sont-ils vus du point de vue de Neville Londubat ? De Mimi Geignarde ? De Mme Norris ? Dire que l'histoire s'arrête après avoir fermé le livre est absurde, dit Maltaise. Dire que nous avons le droit de penser à certaines choses sur une histoire ou à ce qui pourrait se passer dans une histoire ou à ce qui aurait pu arriver si quelqu'un avait tourné à gauche au lieu de à droite, mais que nous ne pouvons pas les écrire, est absurde.
Le Potter-univers a un canon exceptionnellement détaillé et bien documenté. Les canons plus mineurs offrent moins de matière première, mais plus d'espace pour jouer dedans. FanFiction.net abrite 21 histoires se déroulant dans l'univers de Covington Cross, une émission de télévision avec un cadre médiéval qui - même si l'exquise Ione Skye a joué dedans - n'a duré que sept épisodes à l'automne 1992. Le même site propose également 87 exemples de fan-fiction sur Tetris, qui sont une vitrine de l'ingéniosité des auteurs capables de tisser des histoires à partie du plus fin des fils : Le bloc L vient d'apprendre que son partenaire éternel, le bloc Carré, l’a trompé avec son frère, le bloc L inversé...
La fan-fiction qui n'est pas limitée par des canons est appelée l'UA, pour Univers Alternatif, et dans l'UA tous les paris sont ouverts. Le canon est retiré. Imaginez ce qui serait devenu d’Harry Potter si lors de son premier jour à Poudlard, il avait été envoyé à Serpentard au lieu de Gryffondor. Ou s'il était un vampire, ou un loup-garou ? Ou d'ailleurs, s'il était noir ? Ou si, au lieu d'essayer de tuer Harry bébé, Voldemort l'avait adopté, élevé en tant que Harry Elvis et avait conquis les îles britanniques toutes entières ? (Ce scénario a été exploré de façon intensive dans des histoires de fans regroupées collectivement sous le nom Alternity.)
En UA, l’identité lectorielle de l'écrivain prend le contrôle total et, libérée du joug du canon, se déchaîne. Elle anéantit l'ensemble des genres littéraires conventionnels et en crée organiquement de nouveaux, qui forment une sorte de carte des compulsions humaines de la fiction. Les histoires de Douleur/réconfort tournent - comme vous pouvez l'imaginer - autour d'un personnage qui se blesse physiquement ou émotionnellement et qui est réconforté par un autre personnage. Il y a les histoires de changement de genre et celles de changement de corps (Débrouillez-vous pour comprendre). En fan-fiction, tous les univers fictionnels sont contigus et les personnages passent de l’un à l’autre ; des histoires de type Mélange connectent les mondes, disons, de Harry Potter avec, par exemple, celui de Anne... la maison aux pignons verts ou les jeux Halo ou A la maison Blanche ou L’Attrape-cœurs ou Orgueil et Préjugés. Même la réalité est juste un autre genre : c'est la FPR, ou Fiction avec Personne Réelle. La FPR inclut la bandfic, qui traite de la vie des stars du rock de la vie réelle. Il y a des histoires qui, en faisant un saut périlleux arrière narratif, amènent Daniel Radcliffe et Rupert Grint directement à Poudlard aux côtés des personnages qu'ils jouent dans les films (comme dans Visite d'une planète étrange).
Il y a, bien sûr, une tonne de sexe en fan-fiction. C'est un monument élevé à la diversité des caprices sexuels de l'homme. Il y a des histoires qui prennent tout et chaque personnage que vous pouvez nommer et qui les jumellent romantiquement ou érotiquement ou pornographiquement. (Un des axiomes de la culture Internet est la règle n° 34 : Si ça existe, il y en a une version porno). Un grand nombre de plantes aliens s'avèrent produire du pollen avec des effets aphrodisiaques puissants. Vous seriez étonnés.
Et on arrive à la limite insipide du spectre. La fan-fiction exploite des veines sombres, et vous pouvez les suivre aussi loin que vous le souhaitez. Où que vous choisissiez d'arrêter, vous verrez que quelqu'un d'autre est allé plus loin. L'inceste n'est pas hors-limites (ni le jumeauceste). Il y a un genre appelé Mpreg, qui parle de personnages masculins qui tombent enceintes, et c'est beaucoup plus populaire que vous ne le pensez. Il existe des choses comme le dubcon (abréviation de consentement douteux) et le violfic. Les écrivains responsables qui écrivent de la fan-fiction explicite ajoutent des avertissements à leurs histoires. Sur le site de fan-fiction Archive of Our Own, le menu d'avertissements possibles comprend des descriptions crues de violence, mort du personnage principal, viol / non-consentement et mineurs^^.


Quelque chose d’emprunté, quelque chose de neuf

Toute cette discussion sur la richesse et la complexité de la fan-fiction laisse de côté les questions pressantes de savoir si la fan-fiction est légale ou éthique. La question juridique clé est, bien sûr, le droit d'auteur. Aux États-Unis, au moins, le droit d'auteur est contrôlé par quelque chose qui s'appelle Fair use : si un travail est considéré comme fair use (utilisation équitable), il peut emprunter une œuvre copyrightée sans autorisation et sans payer. Il y a quatre facteurs qui déterminent si un travail est d’utilisation équitable, le plus pertinent ici étant de savoir si cela peut être considéré comme une concurrence pour l'œuvre originale sur le marché, et si c'est transformateur : il doit changer ce qu'il emprunte, faisant quelque chose de neuf, avec un autre objet ou un personnage différent, altérant le premier avec une nouvelle expression, signification ou message. (Les mots sont ceux de David Souter de la Cour suprême de Justice dans Campbell c. Acuff -Rose Music Inc., qui cherchait à savoir si le live de Pretty Woman de 2 Live Crew faisait un usage équitable du Oh, Pretty Woman de Roy Orbison. Le tribunal a jugé à l'unanimité que oui.) Est-ce que la fan-fiction transforme, ou ne fait-elle qu’imiter ? S'agit-il d'une critique ou juste d’un hommage ?
Il y a beaucoup de grands écrivains qui ne supportent pas la fan-fiction basée sur leurs travaux. Ils affichent des déclarations à ce sujet sur leurs sites Web. Orson Scott Card, auteur du classique La stratégie Ender, a écrit : Je vais poursuivre en justice, parce que si je n'agis PAS vigoureusement pour protéger mes droits d'auteur, je vais perdre mes droits d'auteur... Alors la fan-fiction, même si elle est flatteuse, est aussi une attaque contre mes moyens de subsistance. Anne Rice est tout aussi véhémente : Je n’autorise pas la fan-fiction. Les personnages sont ma propriété. Ça me bouleverse terriblement de ne serait-ce que penser à une fan-fiction avec mes personnages. Je conseille à mes lecteurs d'écrire vos propres histoires originales avec vos propres personnages.
L'argument juridique contre la fan-fiction n'est en fait pas très fort. Le scénario décrit par Card, dans lequel les droits de l'auteur sont diminués parce qu'il ou elle ne les défend pas activement, est davantage associé à la marque qu’au droit d'auteur. Mais dans la pratique, un écrivain de fan-fiction qui reçoit une lettre de cessation et d'abstention n’a quasi pas d'autre choix que d'obtempérer. Aucun fan ne veut passer par les tracas et les frais de justice contre une célébrité ou une grande compagnie. En conséquence, aucun précédent juridique définitif n’existe.
Mais il y a plus à dire au-delà des subtilités juridiques. Beaucoup d'auteurs considèrent émotionnellement et viscéralement que personne d'autre ne peut toucher à leurs personnages. George R.R. Martin, auteur du Trône de Fer, a écrit sur son site Internet, Mes personnages sont mes enfants ... Je ne veux pas que les gens partent avec eux, merci. Même les gens qui disent qu'ils aiment mes enfants. Ursula K. Le Guin, un autre géant du canon de la fantasy, a écrit : Pour moi, ce n'est pas un partage mais une invasion, littéralement - des étrangers entrant et prenant le pays où je vis, mon cœur.
Ce qui rend les choses un peu plus délicates avec ce désaccord c’est que personne n’a tort. La contradiction réside dans notre culture, qui soutient les deux positions en même temps et n'a pas trouvé une bonne méthode de médiation. Jusqu'à relativement récemment, créer des personnages originaux à partir de zéro n'était pas la partie la plus importante de la description du travail d'un auteur. Quand Virgile a écrit L'Énéide, il n'a pas inventé Enée ; Enée était un personnage mineur de l'Odyssée d'Homère dont Virgile a décidé unilatéralement de chroniquer d'autres aventures. Shakespeare n'a pas inventé Hamlet et Le Roi Lear ; il les a tirés de sources historiques et littéraires. Les écrivains n’étaient pas à l'origine des histoires qu'ils racontaient ; ils étaient juste leurs conservateurs temporaires. La vraie création était l’affaire des dieux.
Tout cela a changé. Aujourd'hui, la façon dont nous pensons à la créativité est dominée par les notions romantiques de génie individuel et d'originalité, et des concepts de propriété intellectuelle tirés d’un capitalisme tardif, selon lesquels les artistes sont des hommes d'affaires dont les créations sont les produits qu'ils ont à vendre. Mais le balancier a un retour. La caractéristique particulière, ou le bug, de notre millénaire est une double vision qui nous permet de regarder les histoires de deux perspectives à la fois. En 1966, l'année de la sortie de Star Trek, Jean Rhys a publié La Prisonnière des Sargasses, qui reracontait l'histoire de la folle dans Jane Eyre, et Tom Stoppard a mis en scène Rosencrantz et Guildenstern sont morts, qui empruntait deux figurants de Hamlet. Les deux œuvres ont attiré les hommages et les critiques aussi sûrement que Spockanalia l’a fait. Dans son roman de 2005 La solitude du docteur March, Geraldine Brooks a enlevé le père absent des Quatre filles du Docteur March de Louisa May Alcott et l'a emmené faire le tour des champs de bataille de la Guerre de Sécession. La solitude du docteur March a remporté le prix Pulitzer.
Ces œuvres ne sont pas des fan-fictions au sens strict. Elles sont écrites dans un but lucratif, et elles sont ornés des signes extérieurs de prestige culturel ; la vraie fan-fiction n’a rien à voir avec l’un ou l’autre. Mais elles viennent du même endroit que la fan-fiction : ce moment où un lecteur pénètre dans un monde qui a été créé par quelqu'un d'autre et refabrique ce monde à sa propre image. Il est difficile de jeter Un fragment hors du temps sans jeter également La solitude du docteur March, et où est-ce qu’on s’arrêterait ? Si la paternité n'est plus le domaine exclusif des dieux, ce n'est plus le domaine exclusif des auteurs non plus.
En cela ils peuvent se sentir blessés, mais il y a aussi beaucoup de réconfort à y trouver. Les personnages de l'écrivain sont ses enfants, mais même les enfants doivent grandir finalement et faire des choses que leurs parents n'approuveraient pas. On ne peut pas posséder les gens réels, dit Maltaise, et au final, je ne pense pas que nous puissions posséder les gens fictifs non plus.

Article originel
Traduction réalisée par Nak


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