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De la parité en SF et en fantasy

Par ThinkBecca, le dimanche 9 octobre 2011 à 14:39:28

McKennaDébut septembre, l'auteure de fantasy anglaise Juliet E. McKenna s'est fendue d'une lettre ouverte au magazine spécialisé SFX. La raison de cette "prise de plume" ? La difficile question de la parité dans le petit monde de la science-fiction et de la fantasy.
Si le problème ne vient pas forcément du pourcentage de livres écrits par des femmes par rapport à celui des hommes, le sujet devient vite plus épineux lorsque l'on compare le nombre de critiques de romans "féminins" et "masculins". Les livres rédigés par des femmes seraient-ils donc moins bien exposés que ceux des hommes ? La faute à qui ? Et comment y remédier ?
C'est sur ces questions que revient Juliet E. McKenna dans la lettre traduite ci-dessous.

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Lettre ouverte de Juliet E. McKenna

Récemment, on m’a demandé « pourquoi vous en prenez-vous à SFX ? » quand j’ai écrit un article sur la parité dans les critiques littéraires qu’on trouve dans les magazines. D’accord, tout d’abord, ça n’a rien de personnel. J’ai beaucoup d’estime pour ce magazine d’un point de vue personnel, en tant que fan des films, séries, livres ou BD du genre, ainsi que d’un point de vue professionnel car en tant qu’auteur, je sais à quel point nous bénéficions tous de cette publication spécialisée de haut vol. Hé, je suis une abonnée fidèle (ah… ces couvertures dépouillées…).
C’est parce que j’apprécie SFX que j’ai envie qu’ils fassent le meilleur travail possible pour nous parler de la richesse de la SF, de la fantasy et de l’horreur. Et là on a un problème qui ne concerne pas seulement SFX. Le site Strange Horizons a récemment posté un sondage qui montre que le nombre d’ouvrages SFFH écrits par des hommes et critiqués dans les magazines ou sur les sites web est disproportionné par rapport aux romans écrits par les femmes. Les chiffres portant sur plusieurs genres, on observe que 30 % des romans critiqués sont écrits pas des femmes, 70 % par des hommes, alors qu’au Royaume-Uni et aux États-Unis, les femmes écrivent 45 % des romans SFFH, contre 55 % pour les hommes.
Quand ces chiffres ne concordent pas, les fans ne voient pas les choses dans leur globalité. Alors je pense qu’il est juste de dire « Hé, l’éditeur Truc, Machin ou Bidule, vous êtes-vous rendu compte que… ? » Heureusement, les réponses que j’ai reçues tournaient autour de « Oh ***** on ne s’en était pas rendu compte ! On doit faire mieux ! » Crédible ? Bien sûr, je n’ai jamais pensé à regarder où en était la parité dans mes propres critiques, comme tous les critiques littéraires à qui j’ai posé la question. Problème réglé ? La puissante épée du féminisme parviendrait à défaire le cruel patriarcat ? Désolée mais non. Parce que le sexisme délibéré n’en est pas la cause, pas plus qu’il n’est la cause de la sous-représentation des écrivains féminins dans les anthologies ou les listes de publications. Je travaille dans cette industrie depuis plus de dix ans, et croyez-moi, elle n’est pas gouvernée par des machos. Pour commencer, on y trouve beaucoup de femmes. D’autre part, j’ai travaillé à la RH dans l’industrie automobile et je sais reconnaître le sexisme intentionnel quand je le vois.
Dommage. Ce serait plus simple d’avoir à pointer le doigt vers ces méchants sexistes et de dire que tout est leur faute. On aime bien désigner des coupables. Dans le meilleur des cas, si on peut se débarrasser des sexistes le problème est réglé. Au pire, on peut continuer à les accuser et dire que puisque ce n’est pas de notre faute, on ne peut rien y faire. Du coup ça ne relève plus de notre responsabilité. N’est-ce pas ? Eh bien non. Quand je travaillais dans l’automobile, ce n’était pas ma faute quand un manager raciste s’en est pris à un Britannique asiatique. Mais c’était ma responsabilité, avec tous les autres employés, de demander des comptes à ce manager ou de faire attention au racisme ou au sexisme.
C’est pourquoi il a été demandé aux RH pourquoi si peu de femmes revenaient travailler pour l’entreprise après avoir eu un enfant. Nous avons découverts que plusieurs facteurs rendaient ce retour difficile. Aucun élément en particulier n’était sexiste, mais c’était l’ensemble du fonctionnement qui l’était. Une organisation idiote peut donner des résultats encore plus idiots. Il y a des chapitres à ce sujet dans les ouvrages sur le management. Désolée, je ne peux pas donner de référence ; ces livres sont partis à Oxfam il y a bien longtemps, avec mes tailleurs et mes chaussures vernies. Mais on peut tous trouver des organisations idiotes qui donnent de mauvais résultats, dans l’univers SFFH. Et on peut tous faire quelque chose.
Chaque critique peut regarder sa propre sélection de roman, pour s’assurer de la parité. Chaque éditeur qui publie des critiques devrait faire de même ; vérifier ces chiffres par mois, par trimestre, par an. Si la proportion n’est pas respectée, on peut en chercher la raison sans pour autant accuser qui que ce soit d’être sexiste. Les raisons peuvent ne pas être liées aux critiques. Que dire si une maison d’édition ne propose aucun roman écrit par une femme sur une période de 6 mois ? Cela arrive… et particulièrement dans la hard science fiction.
On peut alors se demander pourquoi. Il est probable que les éditeurs, hommes ou femmes, invoqueront des ventes moins bonnes pour les auteurs féminins, comparées à celles de leurs collègues masculins. Ils publient davantage de SF écrite par des hommes car c’est ce qui se vend le mieux. Certes, mais si c’est ce qui est le plus édité, évidemment que c’est ce qui se vend le mieux ! C’est un cercle vicieux, un système idiot.
Que peut-on y faire ? En tant que lecteurs, on peut choisir d’essayer des livres écrits par des femmes quand une critique nous plait (et c’est pour ça que ces critiques sont si importantes). Allez à la bibliothèque si vous n’avez pas les moyens. Si vous avez aimé un livre, parlez-en sur votre blog ou sur Twitter, pour en faire profiter les autres lecteurs. Quand les éditeurs verront que les lecteurs lisent des romans écrits par des femmes ou par des trucs à poils bleus qui viennent d’Alpha du Centaure, ils en publieront davantage. Les fichiers de suivi des ventes se moquent de qui a écrit le livre. Ils ne tiennent compte que de l’argent.
Ca, c’est valable jusqu’à un certain point. Les éditeurs ne peuvent pas publier de romans qui n’existent pas. Ils reçoivent vraiment moins de manuscrits de la part d’auteurs féminins ou appartenant à une minorité. Les agents et les anthologistes disent la même chose. Mais de par mon travail, je sais que des gens de tous horizons écrivent. Du coup, je pense que les agents et les éditeurs devraient regarder le contenu de leurs sites web et autres supports de communication, et vérifier qu’il n’y a rien qui puisse décourager des écrivains potentiels, tout ça parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases de la majorité masculine blanche qui règne dans le milieu.
Les éditeurs de magazines de fiction et d’anthologies peuvent s’assurer qu’ils constituent une liste équitable d’écrivains, pour les projets dont ils choisissent les participants, et faire un appel le plus large possible pour obtenir un panel représentatif dans leurs collections. Les aspirants écrivains qui appartiennent à des groupes d’écriture peuvent s’encourager les uns les autres à tenter leur chance avec leurs meilleurs travaux. Si vous êtes un lecteur qui se cantonne le plus souvent aux romans, essayez de lire des nouvelles et des anthologies. Si vous trouvez qu’une des œuvres est vraiment bien, parlez-en sur Internet. Les agents et les éditeurs vérifient toujours ce qui se dit, pour en savoir plus sur les auteurs qui envoient des ouvrages prometteurs. Parce que les agents et les éditeurs veulent de bonnes histoires, peu importe qui les écrit. Parce que les bonnes histoires se vendent.
Je ne dis pas qu’on va régler le problème vite et facilement. Les systèmes idiots ont beaucoup d’inertie. Mais nous pouvons tous, chacun de notre côté, faire avancer les choses. Car c’est important. Si vous n’êtes pas de cet avis, pourquoi lisez-vous de la SF, de la fantasy ou de l’horreur ? Ces genres se sont toujours attaqués à l’absence de réflexion, ou aux idées préconçues ou biaisées. Ils sont la voix de ceux qui sortent de la norme, et qui finissent si souvent par être à la tête de notre futur.


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