L'Ombre de la mort, L'Horreur sans nez, La Chose sur le toit, Les Pigeons de l'enfer...
Quand on aborde pour la première fois le sommaire des Ombres de Canaan, on ne peut s'empêcher de se poser la question, tant les titres de ces nouvelles sonnent comme autant de titres potentiels de séries Z, voire de pastiches.
Avec désormais 10 volumes au compteur pour cette collection Robert E. Howard, les éditions Bragelonne auraient-elles fini par tirer sur la corde en raclant les fonds de tiroirs (oui, il faut être contorsionniste), qui plus est en nous proposant Rihanna en couverture ?
La réponse tombe bien vite : non !
Soyons clairs pour autant : certaines nouvelles de ce recueil, qui tire largement sur le fantastique, ne sont pas renversantes. Sans parler de texte médiocre, Des Profondeurs de l'océan par exemple flirte avec l'anecdotique. Toujours plaisant à lire grâce au sens inné de la mise en scène de son auteur, ce récit n'en est pas moins vite oublié. Plusieurs sont donc dans le même cas. Il est toujours appréciable de voir Howard se frotter à une créature mythique comme le vampire (et on découvre d'ailleurs grâce à Patrice Louinet que son approche ne fut pas forcément acceptée à l'époque !), mais la nouvelle en elle-même - L'Horreur dans le tertre - n'a rien d'inoubliable.
Mais voilà qui fait partie intégrante de la démarche de l'auteur, de plus en plus évidente au fil des nouvelles, avec la mise en avant d'un Weird Southwest. En effet, pas besoin de partir à l'autre bout du monde, de voyager jusqu'à des contrées inexplorées pour découvrir d'indicibles horreurs. Les pires horreurs peuvent tomber sur la tête du narrateur à deux pas de chez lui. Le propos et le style s'affirment, on sent que Howard a trouvé la voie qu'il recherchait et la montée en puissance des dernières nouvelles du recueil se révèle tout bonnement remarquable.
Si on comprend vite pourquoi Stephen King tient Les Pigeons de l'enfer en si haute estime (il s'agit pour lui de l'une des meilleures nouvelles d'horreur du 20eme siècle), c'est bien Les Ombres de Canaan, donnant son titre au recueil, qui marquera le plus. Son cadre hors du temps, son ambiance oppressante et poisseuse, son personnage féminin trouble... Tous les ingrédients sont réunis pour une histoire de haute volée.
Comme toujours, la contextualisation proposée par Patrice Louinet, qui nous entraîne cette fois "au cœur de l'horreur", démontre toute la richesse de l’œuvre de l'auteur et le soin apporté à cette intégrale, volume après volume. Loin de s'adresser uniquement aux fans de Robert E. Howard ou de H.P. Lovecraft, Les Ombres de Canaan propose quelques vraies perles, entre deux récits aux ambitions nettement plus modestes, mais toujours à même de divertir le lecteur.
Sans doute moins essentiel que certains tomes précédents pour le fan de fantasy pur et dur, ce nouveau volume n'en est pas moins des plus intéressants, et pas seulement pour sa dimension historique.
— Gillossen