Le Maître de l'anarchie

Ce premier tome se déroule dans la ville de Bohème, cité classique en fantasy, avec une démarcation claire entre les nobles et les miséreux, qui travaillent et habitent à côté des mines. Car la richesse de la ville provient de l'Oré, métal découvert tout récemment, et dont les propriétés permettent une modernisation et un développement de tout le pays. Deux trouble-fête viennent déranger cet ordre en place ; des puissants sont assassinés, tandis qu'un médecin apparaît dans les quartiers pauvres pour traiter une maladie normalement incurable. Hatcher, journaliste débutant au Mot Liber, va mener une double enquête pour trouver le médecin et le meurtrier, le tout de manière parfaitement officieuse.
C'est un héros imparfait, obsessionnel et arrogant, avec un sens aigu de l'observation, ce qui le rend particulièrement jouissif à suivre. D'autres personnages tout aussi intéressants vont croiser la route de Hatcher. Anna, jeune noble en couple avec le journaliste, dont la principale préoccupation semble être les mondanités et le paraître. Leur relation amoureuse est aussi un tremplin pour Hatcher, dont l'un des buts avoués est de pénétrer dans le cercle des puissants. Willem, noble également, est surtout un génie de l'Oré et le responsable des dernières avancées scientifiques sur ce métal. Il deviendra le compagnon de réflexion de Hatcher, poussant ses déductions dans leurs derniers retranchements. La complicité entre les personnages est rafraîchissante et donne des conversation enjouées. Le lecteur découvre ainsi les détails de l'univers, entre jeux de pouvoirs et découvertes scientifiques, le tout saupoudré de recherche d'informations plus ou moins discrète. Les pages défilent sans ennui, tandis que la plume de Marie Fabre alterne entre moments de tension et scènes plus calmes tout aussi intéressantes.

Les découvertes s'enchaînent rapidement entre les deux enquêtes, approfondissant l'univers et les faiblesses de la ville de Bohême tout en tenant le lecteur en haleine. Car c'est avant tout un jeu de pistes qui est proposé ici, avec deux enjeux diamétralement opposés de premier abord.
Avoir deux enquêtes avec des enjeux bien distincts et deux casquettes pour Hatcher lui donne une dimension supplémentaire. Quel peut bien être le lien entre ces deux personnages mystérieux surgissant en même temps à Bohème, mais ayant des objectifs si opposés ? L'un d'eux soigne les pauvres et est poursuivi par les hauts pontes des industries pharmaceutiques, tandis que l'assassin ne semble cibler que des nobles. La lutte des classes entre pauvres et riches est un classique de la fantasy, les difficultés de la population en prémices d'un renversement social aussi. Bohème n'est pas aussi lumineuse que ses progrès technologiques voudraient le faire croire. Les motivations des enquêtes de Hatcher sont tout aussi ambiguës ; avant de penser au bien commun, c'est avant tout à lui-même qu'il songe, et au moyen le plus rapide d'atteindre la renommée et les liens sociaux nécessaires à ses objectifs. Ce paysage en nuances de gris et de brumes est une vraie force du récit, bien loin du manichéisme que l'on retrouve dans trop d’œuvres, jeunesse ou pas.

Marie Fabre livre un premier roman solide, avec un univers sombre et bien travaillé. À conseiller aux lecteurs à partir de 15 ans comme à ceux plus âgés, comme tous les bons récits jeunesse.