Présenté par son éditeur comme un poids lourd encore méconnu en nos contrées mais précédé d'une aura de succès incontestable chez lui en Pologne, Andrzej Sapkowski est assurément un auteur moins conventionnel que les sempiternels nouveaux venus anglais ou américains que les éditeurs français nous dénichent habituellement.
Pour autant, son héros solitaire aux cheveux blancs pourvus d'immenses pouvoirs, l'est moins, de même que son histoire. Qu'on le veuille ou non, la comparaison avec Elric coule de source, d'autant plus que ce roman est découpé en nouvelles, un peu à la manière de plusieurs tomes du cycle de l'albinos de Moorcock. Ici, Geralt de Riv se repose dans la quiétude du monastère d'une vieille amie tout en revenant sur son passé, avant de reprendre la route en toute fin de récit. Voilà un homme désabusé, dur, mais qui a encore de l'espoir en lui et qui fait parfois preuve d'un humour assez cinglant, toujours à la manière d'Elric. Il a même un fidèle compagnon moins sombre que lui, Jaskier, un barde...
Pour autant, les ressemblances s'arrêtent là... Le monde de Géralt de Riv, tout comme le personnage, n'ont pas la flamboyance des créations de Moorcock, et n'ambitionnent visiblement pas de rivaliser avec lui. Les monstres de toutes sortes pullulent, et la mission de notre Sorceleur est de les éliminer. Il parcourt pour cela des terres désertées le plus souvent de toute magie en dehors de ces "anomalies" qu'il traque, ce qui les rend proches d'un Moyen-Âge européen historique. L'ambiance du roman est ainsi souvent plus proche du folklore que d'autre chose de plus "fantaisiste", par exemple avec l'apparition d'une personnification de la Nature nourricière. Ou bien même du conte avec le temps d'une nouvelle des allusions à Blanche Neige et le temps d'une ligne à Cendrillon.
De fait, ce sont le plus souvent les rencontres de Geralt qui sont le plus intéressantes, plus que la découverte du personnage en lui-même, extrêmement classique et malheureusement pas spécialement attachant. Qu'il s'agisse d'un souverain voulant sauver sa fille et pas aussi fou qu'on l'imagine, d'une histoire d'amour avec une vampire, d'Elfes aigris par le sort ou bien entendu, de Yennefer, la femme aimée, dont l'histoire de sa rencontre avec Geralt est l'un des meilleurs moments du livre. Tous sont souvent plein de surprises, et moins prévisibles qu'on ne le pense de prime abord. Le roman se pare même d'une certaine dimension enquête, qui n'est pas forcément évidente lorsque l'on s'en tient au résumé. Non, Géralt ne détruit pas tout sur son passage avec ses deux grosses épées, mais oui, le bougre est puissant et plein de ressources. Évidemment, une obscure menace plane sur son destin...
On peut donc affirmer que le Dernier vœu n'est pas sans atout : une qualité d'écriture plaisante, sèche, et plutôt vive, un certain recul sur la portée des actes des différents personnages ou sur ce qui leur arrive, (pourquoi certains inventent des monstres qui n'existent que dans leur imagination, y a-t-il vraiment une place pour Geralt dans un tel monde, etc...) de même qu'un récit d'aventure moins linéaire que la normale. Néanmoins, il n'y a là rien qu'on puisse qualifier de révolutionnaire, ou même de réellement surprenant. Nous faisons face à un roman sympathique, qui devrait plaire aux nostalgiques d'Elric ou aux réfractaires aux sagas interminables, mais qui ne peut pas objectivement être qualifié de "nouvelle sensation fantasy", à moins de prendre en compte l'originalité de la nationalité de l'auteur, ce qui n'a pas de conséquence sur le roman lui-même...
— Gillossen