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Le Bélial' - Olivier Girard

Alors que 2022 se termine à peine, quel serait votre premier bilan, à chaud, concernant votre maison ou même la situation globale de l'édition en Imaginaire ?

Le Bélial’ va bien.
On a mis les pieds en 2022 sans faire les fiérots, au sortir d’une année 2021 complètement dingue, avec des réassorts massifs et un enthousiasme autour du livre en général, et de l’Imaginaire en particulier, vraiment intense. On savait bien sûr que cette dinguerie ne durerait pas, et qu’il nous faudrait bien, à un moment, en payer le prix. De fait, comme prévu, on est passé à la caisse au premier semestre. De manière brutale, et, même si on s’y attendait, ça a quand même été très douloureux, notamment du côté des retours. La bonne surprise, en ce qui nous concerne, c’est que le second semestre a totalement inversé la tendance, et qu’on a pour ainsi dire regagné ce qu’on avait perdu en début d’année. Avec un peu de recul, je peux dire que notre fonds nous a bien soutenu, de même que ce que nous avons pu orchestrer autour des venues de Rich Larson et Ada Palmer sur octobre/novembre. Résultat des courses, on aborde 2023 dans le même état qu’on avait attaqué 2022, à savoir financièrement plutôt pas mal, mais toujours très inquiets quant à l’avenir, même si c’est pour des raisons différentes. Par ailleurs, et comme pour tout le monde, je suppose, l’augmentation massive des coûts de fabrication nous a quand même bien calmé. D’autant que ce n’est sans doute pas terminé — ce qui nous renvoie à l’inquiétude sus-évoquée…
Quant à la situation globale de l’édition en Imaginaire, le sujet est vaste. Pour faire court, je la juge inquiétante, pour ne pas dire très préoccupante, plombée par une offre pléthorique et une production SF (le champ qui m’intéresse avant tout) globalement médiocre. Il me semble que la SF a tout à gagner à se réinventer, à aller au-delà des querelles politiques et des horizons narratifs bouchés. Quand elle fait cet effort-là, le lectorat est au rendez-vous, il suffit de voir les chiffres de ventes d’Ada Palmer ou de Becky Chambers… Pour le reste, les éditeurs spécialisés indépendants qui n’ont pas su/pu capitaliser sur les deux années passées ont à mon sens du souci à se faire… Il n’est pas impossible qu’on assiste à une recomposition drastique du paysage éditorial avant la fin du monde…

Avez-vous retenu un événement ou une décision particulièrement marquants ? On songe à la flambée du prix du papier, mais il peut s'agir d'autre chose, évidemment.

À part la canicule / sécheresse monstrueuse qui nous a tous démonté la tronche ? Je me souviens d’une interview de Peter Watts dans Bifrost, qu’il concluait en disant (je cite de mémoire) que le changement climatique était en train de défoncer la porte de nos salons pendant qu’on lisait son entretien… On a tous bien compris cet été que ledit changement venait de s’assoir tranquillou dans notre canapé tout en allumant la télé. On pourrait aussi parler de ce taré de Poutine et de l’Ukraine, bien entendu.
Mais sinon, oui, d’un point de vue plus micro-centré, et de manière tout à fait corrélée, il est clair que l’explosion des coûts de fabrication, ça rigole assez peu… et que le prix de vente des bouquins va s’en ressentir dans doute aucun. Sauf qu’au regard de ce que je viens d’évoquer, sincèrement, y a matière à relativiser.

Quelle place pour la fantasy dans votre programme 2023 ?

Plus importante que d’habitude, en fait… D’abord avec ''La Première ou la dernière'', la suite de ''Noon du soleil noir'' de L.L. Kloetzer, qui a vraiment été très bien accueilli par les lecteurs, même si je ne doute pas que certains d’entre eux ont été un brin surpris de trouver ce type de bouquin chez nous. On y renouera avec les méandres brumeux de la Cité de la toge noire, Yors et son employeur, le sorcier Noon et sa magie inquiétante, bref cette fantasy urbaine palpitante, enlevée, référentielle, à la fois drolatique et flippante, toujours illustrée par l’incontournable Nicolas Fructus. Et puis aussi, un peu plus tard dans l’année, ce sera le lancement d’un projet un peu dingue, un truc en dix volumes (à minima) signé Léo Henry, ''l’aventure de Mille saisons'', voyage ébouriffant dans l’Archimonde aux côtés de Patito, l’enfant naufrageur de l’île de Grouille, et Syzygie, une « géante à voix d’or peut-être tombée du ciel ». C’est inventif en diable, drôle, à la fois tendre et cruel, toujours surprenant, bref, c’est du Léo Henry. Si la fantasy ne constitue pas le cœur du projet éditorial du Bélial’, c’est un champ littéraire qu’on apprécie néanmoins beaucoup, et nous sommes vraiment très heureux de pouvoir accompagner ces deux projets atypiques dont on entendra pas mal parler, en tout cas on l’espère.

Enfin, quel sera votre plus grand défi pour cette nouvelle année ?

Garder notre enthousiasme, notre envie. Continuer à se marrer et à surprendre. Regarder devant nous avec la confiance que donne un projet éditorial structuré et cohérent. Et penser l’avenir avec nos auteurs en évitant de trop crever de trouille…

''Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière''.