Vite ! Parlez-nous un peu de vous et d'Acacia.
Pour ce que j'en sais, tout ce que je vais vous dire est vrai…
La première histoire que j'ai écrite parlait de tortues guerrières géantes, j'avais 13 ans.
Lorsque j'ai eu 18 ans, j'ai passé 4 jours seul, nu et jeûnant dans le dessert d'Arizona. Bronzage intégral.
Après avoir obtenu mon diplôme, je suis parti en Ecosse avec l'intention de traîner avec des gens à l'accent cool et de beaucoup boire, j'ai fini marié.
Je suis toujours marié. Nous avons deux adorables enfants, une fille de 8 ans et un garçon de 6. Ils viennent juste de faire une balade avec nous dans la Sierra Nevada, où nous avons campé. Ils ont aimé tous les deux à part quand ils se sont réveillés au milieu de la nuit en hurlant. L'altitude, vous savez.
Je vis à Fresno, mais avant, j'ai vécu dans le Maryland, l'Arizona, l'Ecosse, l'Oregon, la France, le Massachusetts et le Colorado pour n'en citer que quelques-uns. Selon toutes vraisemblances je n'ai pas encore fini de bouger.
Je suis professeur associé d'écriture créative à Cal State, et j'ai publié trois romans historiques.
Acacia est mon premier roman fantasy, mais c'est une histoire avec laquelle je vis depuis un moment. Elle se déroule dans un monde alternatif, mais qui ressemble beaucoup au notre en terme de diversité ethnique. Les protagonistes, les enfants Akaran, sont calqués sur la famille de ma femme pour ce qui est du nombre, de l'âge et du sexe. Il y a aussi quelque chose de caractéristique de la famille de ma femme qui ressort dans chaque Akaran. (Ma femme, si vous êtes curieux, serait Mena. Bien, mais alors quel caractère ! Heureusement, j'ai réussi à la tenir éloignée des épées).
J'ai écrit Acacia en partie en hommage au fait que ce soit la fantasy qui m'ait appris l'amour de la lecture lorsque j'étais adolescent. Ce n'est pas un roman jeune public cependant. C'est conditionné par mon approche du roman historique et construit sur un schéma complexe de manœuvre politique et d'exploitation économique. C'est un roman dans lequel les méchants ont des griefs justifiés et où les gentils ont des choses à se reprocher. C'est sérieux sous de nombreux aspects, mais je suis également heureux de dire qu'il y a des quêtes, des sorciers, des bêtes géantes, des batailles et des aventures marines.
Acacia est une première pour vous en fantasy, mais vous avez déjà publié des romans historiques reconnus, parmi lesquels Pride of Carthage. Que vous amène l'écriture de fiction historique lorsqu'il s'agit de créer son propre monde, avec sa propre histoire ? Qu'avez-vous dû désapprendre ?
Je pense qu'il m'aurait été beaucoup plus difficile de construire un monde si je ne l'avais déjà fait quelques fois dans mes fictions historiques. Chacune d'elles demande la représentation d'un monde réaliste et détaillé, très différent de notre monde moderne. Gabriel's Story se déroule dans l'ouest américain des années 1870. J'ai du faire des recherches sur le mode de vie des cowboys pour l'écrire, ainsi que sur les Afro-Américains, les marchés aux bestiaux, le travail du maréchal-ferrant, etc…sans parler de réapprendre la géographie de l'ouest des Etats-Unis. Avec Walk through darkness j'ai dû m'improviser spécialiste des esclaves fugitifs, des pratiques des plantations, de l'histoire d'Annapolis, de la fièvre jaune…Ecrire Pride of Carthage – en plus des recherches sur les anciennes pratiques guerrières, la mythologie romaine et carthaginoise et la géographie méditerranéenne – a aussi été une leçon sur la complexité qu'implique les grands efforts. Ca a été franchement compliqué, et rien ne s'est passé exactement comme prévu.
C'était super de pouvoir utiliser ces expériences pour approcher un monde fantasy. J'aime avoir la liberté de faire les choses, mais il y a toujours une trame avec laquelle je sais que j'ai besoin de composer parce que j'y ai déjà eu affaire dans les précédents livres. C'est en partie – j'espère – ce qui rend le Monde Connu réaliste. La complexité de l'économie, la mythologie que les nations utilisent pour se raconter à elles-mêmes, la difficulté de communiquer à travers les barrières culturelles, la malheureuse tendance à tourner l'idéalisme vers l'intérêt personnel : tout cela et même plus ressort dans mon monde fantasy autant que dans mes fictions historiques. Je pense que c'est une bonne chose.
Je ne crois pas avoir dû désapprendre quoi que ce soit, mais je suis devenu plus à l'aise avec le fait de lâcher la bride à mon imagination, en y incluant le fantastique. Ca a été un grand plaisir.
L'une des forces d'Acacia est la complexité morale de l'histoire, non seulement dans le passé de l'Empire, avec sa notion particulière de l'esclavage, mais aussi en ce qui concerne les décisions et les luttes des personnages eux-mêmes. En temps qu'auteur, comment équilibrez-vous des problèmes moraux réalistes et une bonne vieille histoire qui donne envie de tourner les pages ? Le fait d'écrire une série vous donne-t-il plus de flexibilité ?
C'est une question piège. Je fais très attention à l'équilibre, et je fais de mon mieux à ce sujet. D'un côté, il est très important pour moi que mon roman pousse plus loin qu'une simple bonne histoire. Je pense qu'une partie de ce qui fait une bonne histoire est la complexité et la profondeur au-delà de la surface des choses. Acacia a donc des traits de son scénario qui traitent de l'esclavage, de la dépendance à la drogue encouragée par l'Etat, l'externalisation de l'armée, les monopoles commerciaux, la réécriture officielle de l'histoire…Et, en termes personnels, de personnages qui se battent pour coller à ce à quoi leur naissance les a destinés, de personnes vulnérables, effrayées, conflictuelles, et en position de force en même temps…Composer une grande histoire avec ces choses est exactement ce que j'aime lire.
Mais ça prend du temps de développer ces situations et de donner du corps à ces personnages dans toute leur complexité. Et cela peut ralentir le scénario. Ce que je ne veux pas ! Je veux que les lecteurs sentent qu'ils ont « une bonne vieille histoire ». J'ai décidé, il y a un moment – lorsque mon travail a finalement été publié – que j'allais faire de mon mieux pour honorer et récompenser les lecteurs qui prennent du temps avec mes mots. Personne n'est obligé de lire mon travail ou celui d'un autre juste parce que c'est bon pour eux. J'ai pu penser ça lors de mes études, mais j'ai alors rencontré le monde réel et j'ai du revoir pas mal de mes opinions. Chaque roman que j'ai écrit depuis essaye d'équilibrer de la substance thématique avec du drame, de l'action, du divertissement, des batailles ou des retournements de situation.
Est-ce que je réussis à maintenir l'équilibre ? Pour certains, heureusement. Mais je sais que certains lecteurs voudraient que l'histoire avance plus vite. D'autres pensent qu'il se passe trop de choses et que j'aurai pu prendre plus de temps pour développer. Ce n'est pas parfait pour tout le monde, mais ça ne peut pas l'être.
Savoir que j'écris une série influence l'impression générale que j'ai du développement de l'histoire, mais les romans viennent un par un – et la lenteur du processus est aussi dure pour moi que pour n'importe quel fan. Acacia va devoir se débrouiller seul pendant un ou deux ans. Je suis douloureusement conscient de nombreuses choses à venir que les lecteurs ignorent encore. Certaines choses nécessitent simplement du temps, et des livres, pour se développer.
La magie, par exemple, est redécouverte dans ce livre, mais elle joue un rôle relativement faible. Dans les livres à venir, il en va différemment. Certains lecteurs peuvent penser, sur le moment, que je ne fais pas assez de magie ou que je ne la fais pas assez bien, mais je crois qu'ils penseront autrement lorsque la série sera achevée – s'ils continuent de la lire. C'est plus tard – lorsque la magie sera revenue dans le monde – que l'intérêt de son absence pendant si longtemps sera véritablement révélée.
Du moins je l'espère. Tout ce que je dis est qu'en tant que créateur de ce monde, le voir comme une série donne une grande flexibilité, mais en tant qu'auteur regardant les gens lire ce premier tome, je ne peux faire autrement qu'espérer pouvoir livrer l'intégralité de la série sur le champ.
Quel conseil d'écriture donneriez-vous ?
Vous voulez dire un « bon » conseil d'écriture ? Ils sont difficiles à trouver et semblent pourtant si évidents. Oh, il y a quelque chose qui me vient à l'esprit…
Steve Yarbrough, un grand écrivain, qui donne des cours à Fresno avec moi, m'a un jour donné ce petit bijou. Il était assez tard, nous avions un peu bu et je lui parlais de mon ambition de devenir un jour best-seller. Il m'a écouté, a secoué la tête et m'a affirmé « Tu sais, David, si tu veux vendre tant de livres, il va falloir que tu arrêtes d'écrire aussi bien ».
Sur le moment, j'en ai ri, mais rien de ce que j'ai vu depuis n'a pu démentir cela. (Pour info, je n'ai pas encore suivi son conseil. J'espère toujours que je n'aurai pas à le faire. Mais je n'ai toujours pas vendu autant de livres que je le voudrai. Donc, on ne sait jamais…)
Vous enseignez l'écriture. Qu'est-il possible ou impossible d'enseigner sur l'écriture ?
Je sais. C'est un métier bizarre.
Je peux coacher les étudiants, trouver des moyens de faire ressortir leurs talents, les défier de la manière dont ils ont besoin, les interroger lorsque je pense qu'ils font erreur ou s'abusent à propos de certaines choses. Je peux revoir leur travail aussi durement que le mien l'a été. Je peux leur donner un aperçu du marché de l'édition. Je peux les encourager à lire des auteurs qui ont des choses à leur apprendre.
Mais je ne peux leur donner de talent qu'ils ne possèdent déjà. Je ne peux pas leur apprendre à être rejetés, à ignorer les critiques mal-intentionnées, ou les préparer pour ce qui est invariablement un chemin long et incertain jusqu'à la publication et après. (Je sais que je ne peux leur apprendre cela parce que je n'ai pas réussi à l'intégrer moi-même).
Mais je ne peux pas me tenir devant eux et leur crier tout cela. Ici ou là, l'un d'entre eux entend quelque chose qui lui parle. Il se l'approprie et avance. C'est tout ce que je peux espérer, et ce n'est pas rien.
Il y avait un article récemment dans le Boston Globe à propos des auteurs noirs qui trouvent leur place dans les genres majoritairement blancs de la SF et de la fantasy. Vous avez déclaré « Il y a beaucoup de racisme et de sexisme dans la fantasy épique, je ne suis pas certain que les gens qui l'écrivent en aient conscience ». Pouvez-vous développer ?
Pour les gens qui ne le savent pas encore, ce commentaire découle de ma perspective de personne de couleur. J'ai des origines mêlées, mais il est juste de dire que j'ai grandi en me considérant – et en étant considéré par les autres – comme un Afro-Américain. Je lis donc avec un œil influencé par cette identité.
Il y a beaucoup d'exemples de racisme en fantasy, même quand les personnages de couleurs ne sont pas humains. Ils servent souvent à représenter une sorte d' « autre » et personnalisent les stéréotypes de notre monde. Je ne veux pas commencer à donner des noms et à accuser, mais je suis à peu près sûr que si les lecteurs y pensent un peu – ou se rappelle d'y penser lors de leurs futures lectures – il ne se passera pas longtemps avec qu'ils trouvent de nombreux exemples de mondes fantasy exclusivement blancs, etc…
Imaginez que cela arrive dans le travail d'un écrivain noir. En tant que personne de couleur, il ou elle aura passé sa vie en ayant quotidiennement conscience des races. Si cet écrivain noir créait un monde futuriste ou fantasy entièrement noir, les lecteurs blancs (si tant est qu'il en ait) trouveraient cela improbable, limité, le défouloir d'une minorité ou y trouveraient le fondement d'une inimitié raciale – qui pourrait être appelé du racisme. (Ai-je tort à ce propos ? Je pense que je le dis encore assez poliment).
Cela vient de mon imagination car je n'ai encore jamais lu de roman entièrement noir. Le fait est que les écrivains blancs font exactement la même chose depuis des décennies, et certains le font encore ! C'est tout aussi raciste quand la fantasy ou la SF sont entièrement blanches. C'est même une notion ridicule car dans le seul monde que nous ayons pour exemple, les blancs sont une minorité. Si je me souviens bien, 55% de notre population mondiale est asiatique. Il doit y avoir 13% d'Africains. Et les blancs sont autour de 12% - et encore, avec une interprétation assez libre du terme « blanc ». Ces chiffres ne sont pas tout à fait exacts mais le postulat de base est solide. Nous vivons dans un monde brun. Et le future est brun lui-aussi.
Donc, comment pourrai-je qualifier un monde blanc créé par un écrivain blanc ? Improbable, limité, le défouloir d'une minorité ou fondé sur une inimitié raciale – qui pourrait être appelée du racisme. (C'est la réponse polie).
Je reconnais que les choses sont mieux maintenant que ce qu'elles ont été. Il y a plus d'écrivains qui incluent une diversité ethnique dans leurs mondes, mais il y a encore du chemin à faire. Je sais qu'Ursula LeGuin peuple toujours ses mondes avec une population variée. Et j'ai récemment découvert Tobias Buckell et sa SF influencée par les Caraïbes. C'est merveilleux, nécessaire et important. C'est le futur et cela fait également partie de mon travail.
Le Monde Connu d'Acacia est un monde avec différentes ethnies, religions et races. Je l'ai créé d'après la réalité avant de laisser les éléments de fantasy s'y glisser pour le rendre plus intéressant. Je suis content de voir que les lecteurs semblent le remarquer et bien y répondre. Nous avons vendu les droits pour le publier dans 5 langues et au Royaume-Unis jusqu'à présent, le monde semble donc être prêt à le lire.
Je doute que le marché en général soit opposé à la diversité, mais je pense que les libraires, les éditeurs et les réalisateurs jouent sur nos peurs et notre ignorance plus qu'ils ne nous lancent des défis. C'est plus facile ainsi. Diviser et conquérir les consommateurs plutôt que d'essayer d'unir et de trouver, à travers notre complexité, ce que nous pourrions vouloir si on nous le proposait.
Je me plaignais auprès d'un ami réalisateur des aspects inappropriés et insensibles du film 300 récemment. (Mais j'en admirai également les incroyables effets visuels). Il m'a répondu ^^Oui, mais il n'y a rien de neuf ici. Nous avons toujours joué sur la peur de l' « autre ». En résumé, c'est ça qui fait vendre. Et si cela continue de vendre, pourquoi faire autrement ?
Je comprends la réalité de ce fait. Et je ne veux certainement pas qu'Hollywood devienne un repère moral. (Il y a peu de chances). Mais le même producteur s'intéresse à l'adaptation d'Acacia. De la même manière qu'il sait que nous sommes souvent embarqués par une peur raciale insensible, il sait aussi qu'il y a un marché pour notre population de plus en plus diverse et mêlée.
Donc, vous verrez peut-être Acacia dans un multiplex près de chez vous dans quelques années. Et/ou quelqu'un d'autre amènera les mondes divers d'autres écrivains dans les librairies ou à l'écran. Si c'est le cas, nous aurons fait des progrès. Une correction complète ? Probablement pas. Mais il y a beaucoup de marge de manœuvre pour nous améliorer avant d'en arriver là, et je me réjouis de chaque petit pas que nous faisons.