La trilogie du Puits des mémoires est aujourd’hui entièrement sortie. Il s’agissait de votre premier roman en nom propre, comment s’est passé l’accueil de cette série ?
L’accueil a été plutôt bon, c’est vrai qu’au début je me suis dit que j’allais me ridiculiser en tapant dans la fantasy qui est un genre pas très fréquentable dans la littérature en général. Je suis allé voir des gens avec qui je bossais depuis très longtemps et je leur ai dit : ^^Je monte une collec d’''heroic fantasy'', est-ce que vous marchez ?^^ et tout le monde m’a ri au nez en disant : ^^Tu vas te ridiculiser, c’est un genre de merde, pas toi, pas maintenant^^, etc. Je suis donc allé voir des maisons un peu plus spécialisées et pour le coup ça a marché, en fait. J’aurais pas cru parce que, n’en lisant, pas j’ai cru que j’allais faire un bouquin de fantasy de merde, et en fait non, ça a pris, ça a marché.
Un petit débat s’est élevé autour de la trilogie… est-ce que ce sont des romans jeunesse ?
Pour être très franc, non, mon éditeur est persuadé qu’en ''young adult'' ce serait mieux qu’en adulte, on a discuté, on a fini par enlever le logo ^^''Scrineo'' jeunesse^^ parce que je pensais que c’était hyper pas écrit pour des gamins, même si c’est lisible par des gamins bien sûr. Et le suivant sort en jeunesse, parce qu’il m’a convaincu qu’il fallait qu’il sorte en YA. Pourtant c’est le même monde, c’est le même style, c’est la même approche… Je ne suis pas trop sûr parce que je crois que c’est chiant à lire pour les enfants, en fait. Même pour les ados finalement, je me demande si à 12-13 ans on ne se fait pas un peu chier en lisant ce genre de trucs. Je pense que le fond est plus adulte.
À la lecture de la trilogie, on ressent l’influence du jeu de rôle avec des personnalités assez marquées, un univers bien défini et un côté aventure participative avec des personnages qui construisent leur propre aventure au fur et à mesure de leur avancée. Quelle influence le JDR a-t-il eue sur ces romans ?
Il y en a une, mais c’est très romancé par rapport au JDR, sinon ce serait très mauvais. La trame de base est un peu rôlistique, mais si j’avais essayé de la transcrire telle quelle ç’aurait été vraiment dramatique. Ce qui est drôle, c’est que les gens qui ont participé au côté rôlistique du truc ne se sont pas du tout retrouvés dans le bouquin, parce que, forcément, ils n’en voient pas les mêmes choses, ils ne font pas les mêmes choses. Mais effectivement, dans le postulat de base, il y a quelque chose de très rôliste.
Je fais beaucoup de JDR, j’essaye de faire une table par semaine mais je n’ai pas fait de JDR commerciaux depuis longtemps. On est une petite équipe de vieux, et l’avantage de jouer avec des vieux c’est qu’ils sont compliqués, c’est-à-dire qu’ils veulent des trucs un peu tordus, un peu fouillés, des univers un peu plus narratifs. Je pense que si je leur servais des souterrains, des couloirs et des dragons, je me ferais lapider. Quand j’ai commencé à jouer, je me suis dit que l’intérêt de l’activité c’est de se faire ses mondes, sinon ce n’est pas terrible, donc c’est vraiment les jeux maison qu’on a pratiqués pendant très longtemps avec à peu près les mêmes joueurs, plusieurs petits couillons qui se battent en duel et qui me servent aussi de lecteurs tests pour mes bouquins. Eux, ils lisent de la fantasy, donc c’est assez pratique, ils me disent si ça marche, si ça ne marche pas…
Dans le tome 3, on a une fin assez ouverte ; voulez-vous revenir par la suite sur ces personnages-là ? (révélations donc sur la fin du Puits des mémoires !)
Plus si affinités oui, c’est possible … J’essaye de construire un monde en puzzle en fait, le suivant se passe dans le même monde mais plus au sud, là on s’est un peu caillé les miches pendant 3 tomes. Ce ne sont plus du tous les mêmes personnages, par exemple, il y a quelques références qui s’entrecroisent, si j’ose dire. Pour l’instant, je n’ai pas de spin-off, mais ce n’est pas impossible. Je pourrais soit faire un spin-off, soit reprendre à la fin avec les mêmes personnages. Continuer est très possible, je regrette quand j’ai à tuer des méchants… ^^Mince, celui-là est mort, j’aurais pu en faire quelque chose d’intéressant après !^^. J’aimais bien l’albinos, en fait, c’était un personnage intéressant qui a fait les trois tomes et je l’ai bêtement tué, et je m’en excuse. Il aurait pu me servir dans le suivant, il aurait pu prendre ses bagages et aller refaire une carrière dans le Sud. Mais ça peut être un peu frustrant pour le lecteur de ne punir vraiment personne, parce qu’il n’y en a pas beaucoup qui sont punis… Ça a un petit côté vraie vie, le très méchant ne tombe jamais vraiment.
Continuons sur La Maîtresse de guerre, votre roman suivant dans le même univers. De quoi parle-t-il ?
Ça parle d’une nana qui veut se battre dans un monde de mecs. En substance et sans trop spoiler, c’est la fille d’un maître d’armes qui veut en découdre et à partir de là, plus personne ne veut la former, c’est une femme, elle ne vaut rien. Du coup, elle va s’engager dans une armée qui va la former à partir dans le grand Sud pour lutter contre une civilisation terrible pleine de barbares et de cannibales, croit-on. Et voilà, elle veut se battre alors que personne ne veut d’elle.
Écrit-on un roman avec une héroïne différemment d’un roman avec des héros ?
Oui, en fait, on ne s’aperçoit pas des difficultés que ça peut poser, parce que finalement, une nana, tout le monde la fait chier dans la vie. En écrivant, on s’en rend compte : ^^Ah, là elle ne peut pas faire ça, elle ne peut pas parler à untel, elle ne peut pas aller là^^, etc. Ces difficultés me sont un peu retombées sur les épaules, parce que, justement, elle essaye de s’imposer. Je n’ai pas la prétention de dire que je suis vraiment entré dans la peau d’une nana pour avoir ses sentiments sur la question mais en revanche cette question de la difficulté d’insertion dans la société, c’est pas si évident que ça, alors qu’avec un personnage masculin… Et je ne voulais pas verser non plus dans le truc qu’on attend, c’est-à-dire ou la faible femme, ou la balaise, ou la petite minette ninja cliché de l’''heroic fantasy''.
Vous avez peut-être peur d’être attendu au tournant avec un personnage féminin ?
Oui, je suis assez curieux de voir en tout cas. Mais, encore une fois, je n’ai pas la prétention de dire que je suis entré dans la peau d’une femme ; simplement, je ne suis pas allé vers les archétypes dont on parlait. Celui qui me crispe le plus, honnêtement, c’est la petite ninja qui saute partout et qui est agile et rapide. Ça, franchement, c’est une connerie sans nom, une fille qui se bat avec une épée, elle frappe fort comme un mec et c’est une vraie combattante. Je ne veux pas ce genre d’image complètement débile de l’assassin qui t’égorge dans le noir.
C’est une héroïne en butte avec la société patriarcale autour d’elle ?
Oui, elle est tiraillée de tous les côtés, finalement. Elle vient de cette faction armée qui va déferler sur le grand Sud et rencontrer l’autre côté, et dans tous les cas on la prend de haut. C’est assez difficile à rendre en fait.
C’est sûr qu’une femme seule au sein d’une armée en marche doit avoir du mal à se faire entendre.
Oui, la première scène est une scène de traversée ; au tout début, elle a un mec qu’elle a rencontré sur le bateau, qui est très sympa d’abord et qui devient très possessif après. Et effectivement, tout le monde la regarde se changer derrière son drap parce qu’il n’y pas de femmes : il y a des cantinières, des guérisseuses, et sur le terrain il y a une femme de temps en temps, une brute dont tout le monde se fout, mais elle, elle est pas mal, elle est mignonne, et oui, c’est un peu pragmatique mais elle se retrouve dans des situations pas faciles. Et si elle s’éloigne de son ^^protecteur^^ qui est le petit couillon avec qui elle sort sur le bateau, hé bien, c’est pas facile.
C’est vrai que, dans le Puits des mémoires, il n’y pas tant de personnages féminins que ça, à part peut-être Oranie qui finit par avoir un rôle important.
Et d’ailleurs, j’ai eu quelques critiques de lecteurs sur elle, car on me dit que quand même j’aurais pu en faire une bonnasse. Et justement, elle est grassouillette, un peu arriviste, pas super bien dans son milieu et elle fait ce qu’elle peut pour s’en sortir, et voilà, c’est une nana normale. Et les gens voulaient un peu la princesse évanescente parce que ^^Olen il est beau il lui faut une meuf magnifique, la princesse dans sa tour…^^
Ce que j’avais bien aimé au début de la trilogie, c’était de tomber sur trois hommes amnésiques, de remarquer que ce n’est pas très original, et j’ai trouvé remarquable cette façon de prendre un cliché de la fantasy et de le traiter de façon originale et crédible. (révélations sur le tome 2 du Puits des mémoires)
Le risque c’est effectivement de s’entendre dire que ^^les amnésiques c’est bon, on a déjà vu^^. Mais ce qui est sympa avec les amnésiques, c’est de se dire : ^^Je vais me mettre dans la peau d’un personnage qui va retrouver qui il est et qui n’aime pas du tout ce qu’il découvre.^^ Alors qu’en général on peut découvrir qu’on est une machine de guerre, ou un glorieux héritier… c’est un peu ça finalement dans mon livre, mais ils n’aiment pas ça, ils n’aiment pas la personnalité qu’ils retrouvent, ça les bouffe. Chacun dans son style, il y en a un qui est un petit con alors qu’il ne pensait pas l’être, il y en a un qui est violent comme c’est pas permis, mais Karib, lui, s’y fait bien, il est dans ses pantoufles et ça va.
(révélation sur le tome 2 du Puits des mémoires) Ils ont des réactions très contrastées devant la découverte de leur identité véritable… et d’ailleurs le tome 2 nous apprend que les personnages – et nous avec – étaient lancés sur une fausse piste.
En fait, c’était un risque sur le premier : je pensais me faire coincer là, qu’on me dise que j’étais au-delà du cliché, c’est-à-dire avoir une équipe avec un mage, un guerrier et un lanceur de couteaux. Alors que ce n’est que du leurre, mais j’ai pensé qu’on début on allait me dire : ^^Mais c’est quoi ton bouquin franchement ? Ton équipe d’aventuriers à la D&D qui a tué un roi, bon…^^. En fait ils se font avoir aussi parce que le complot est plus compliqué que ça, mais j’ai eu vraiment peur de me faire taper sur les doigts au premier tome.
C’était important de parler de personnages qui peuvent choisir qui ils veulent être ?
Oui, parce que je pense que ça parle à tout le monde. Se retrouver devant un embranchement et devoir décider ce que l’on veut faire… ^^Est-ce que je veux être le prince Machin, faire semblant ou partir avec mon sac ?^^ Tout le monde se poserait la question finalement, et j’aime pas tellement ce truc qu’on retrouve souvent en fantasy ou en aventure tout court, le côté ^^j’ai une mission, j’ai une quête et je dois l’accomplir^^ : là, les mecs n’ont ni mission ni quête, ils doivent choisir entre se barrer, vivre leur vie, changer… et certains se ramassent. Ça doit être difficile de se positionner dans ces cas-là, et je pense que ça amène le lecteur à se demander ce qu’il ferait à la place de ces gars. Je me suis déjà fait engueuler en dédicace par des lecteurs qui viennent me dire : ^^Hé, Machin il est devenu insupportable alors qu’il était super avant, il faut qu’il change !^^. (révélation sur le tome 2 du Puits des mémoires) La vraie nature des personnages perce à chaque fois : Nils, c’est la violence, Olen, c’est ^^je suis un petit con et un enfant gâté^^, et Karib, c’est un nanti, content dans le luxe. Même si sa vie de famille… En fait c’est clé en main, dans le roman d’aventures, quand tu découvres que tu es un prince, tu as un joli trône, tu prends des décisions, et voilà. Alors que là, eh bien, tu as l’ex-femme que tu entretiens parce que le divorce s’est mal passé, la maîtresse, l’ado insupportable qui claque les portes, c’est un lot, mais toi, si ces gens-là tu ne les connais pas parce que tu es amnésique, tu ne veux pas forcément prendre le pack.
Au-delà de cette histoire de fantasy, c’est également une série sur l’amitié entre trois garçons qui se sont retrouvés par hasard. (révélation sur la fin du Puits des mémoires)
''A priori'', ils n’ont rien pour être amis : un jeune écervelé, un diplomate plein de pognon et une machine de guerre… mais sur la trilogie ils se construisent une relation qui n’existait pas. J’ai hésité à faire une sorte de pseudo-tome 4 au lieu du dernier chapitre, pour expliquer ce qu’il se passe avant, et je me suis dit que ces personnages allaient être tellement antipathiques aux yeux du lecteur qu’il valait mieux me contenter d’un chapitre. Ça m’amusait, mais pour le coup on ne les reconnaîtrait pas du tout.
La fantasy a envahi nos écrans ces dernières années, quel est le regard d’un auteur sur ce phénomène ?
C’est mon fantasme d’être adapté à la télévision. Je suis scénariste, donc j’essaye un peu de pousser ; j’ai rencontré des producteurs pas fermés à l’idée, mais ça fait peur parce que c’est cher. Ou alors ça fait peur parce que c’est de la fantasy, on dit que c’est un ^^genre pour geeks^^ – dit le mec qui télécharge Game of Thrones toutes les semaines, qui ne peut pas en rater un, mais qui en même temps ne veut pas faire de fantasy parce que c’est pour les geeks. Au cinéma je n’y crois pas par contre – déjà, avec les moyens du cinéma français… alors qu’en série c’est moins gênant. Le format idéal de la fantasy, c’est la série, parce qu’il y a plein de personnages, d’angles, la possibilité de faire des cliffhangers… Mais ça reste cher et effrayant.
Est-ce que le prix Imaginales a changé quelque chose pour vous ?
Au niveau des chiffres de vente pas tellement, par contre au niveau de la notoriété, oui, ça a pas mal bougé, surtout dans la blogosphère. De toute façon, aujourd’hui, on n’existe que par le net : un éditeur va aller regarder sur ''Google'' avant de te publier. Pour moi, par exemple, ça a permis d’avoir des ouvertures en télé, justement, des gens qui ont quand même voulu me voir. Donc c’est plutôt bien, si tu existes sur ''Google'', tu as l’oreille de ton interlocuteur. Mais bon, la série n’existe pas encore, hein ! J’ai plus d’espoir sur le suivant à vrai dire.
Merci pour vos réponses, Gabriel Katz !
''Propos recueillis par Nausikaa''