Étrange, étrange que ce roman... La vie de cette cour d'Angleterre venue tout droit de l'uchronie où l'on continue de jurer en invoquant Arioch est indéniablement des plus fascinantes, avec toute une faune de personnages des plus variés, parfois drôles, parfois sinistres, parfois pathétiques, ou parfois tout à la fois. Avancer que Michael Moorcock est brillant est d'une platitude folle, mais que dire d'autre ? Chacun de ses romans est un véritable puits d'idées, un tourbillon d'infinis possibilités, à l'image de son Multivers tout entier qui n'est vu ici que sous forme de clin d'œil. Et ici plus qu'ailleurs. On assiste avec une attention toujours renouvelée aux intrigues de toutes sortes, aux révélations les plus inattendues, aux dissertations les plus spirituelles, opposant ou liant les divers protagonistes. Et au-dessus de tous, la figure expiatoire de Gloriana, reine qui ne peut trouver son plaisir et se sacrifie sans relâche à son pays, jour après jour, endurant chaque nuit des tourments incessants. C'est elle qui incarne l'âme de son empire, devant faire face à bien des tracas. On suit son parcours avec intérêt et un sincère respect, ensorcelé que l'on est par la peinture tout en finesse de Moorcock, oubliant le caractère presque choquant de certains passages. L'auteur ne s'est pas lancé dans son sujet sans recherches, et l'on retrouve les débats philosophiques qui enflammait la Renaissance ici parodiée, les concours de poésie, le découpage de l'histoire selon les saisons, chacune apportant son lot de moments marquants, troublants, et avant tout émouvant, d'une manière ou d'une autre. Le pouvoir est décidément un élément incontournable, toujours évoqué, mais sans complaisance ou redite. Moorcock ne s'adoucit pas, et ne cherche pas à faire du capitaine Quire par exemple un héros au final, pour sauver de quelconques apparences. Il demeure le tortueux et cynique personnage qu'il nous apparaît être dès le début. C'est aussi cela qui fait sa force. Et des quêtes qui peuvent sembler bien différentes peuvent trouver des solutions communes imprévisibles...
Un roman qui ne se rattache à rien dans la bibliographie de Moorcock, mais qui n'en est pas moins indispensable pour les passionnés. Et les autres ! Attention toutefois, à ne pas mettre entre toutes les mains. Pas tellement à cause de certains paragraphes traitant sans faux semblant de la sensualité débridée de tel ou tel personnage, mais plus en rapport avec les aspects philosophiques et les thèmes abordés en se donnant la peine de creuser la si riche matière ici à notre disposition.
— Gillossen