Pour de nombreux lecteurs, notamment francophones, le roman
Soldats de Pierre était le point final du cycle de
la Compagnie Noire.
Pourtant, si Glen Cook s’est ensuite concentré sur d’autres univers, en particulier celui des
Instrumentalités de la Nuit, l’auteur n’a jamais caché son envie de retourner raconter des histoires autour d’une des plus célèbres troupes de mercenaires de la fantasy. Et il l’a même fait à plusieurs reprises ces dix dernières années. Avec une série de nouvelles, tout d’abord, regroupées de manière théorique et a posteriori sous le titre
On the Long Run, puis avec un roman sorti en 2018 qui en reprenait des morceaux, intitulé
Port of Shadows. Mais ces histoires opéraient un retour en arrière et se déroulaient dans la période des Livres du Nord.
Si les fans ont donc eu de quoi se mettre sous la dent, il n’en reste pas moins que Glen Cook ne s’était jamais lancé à raconter la suite de
Soldats de Pierre. La parution de
Lies Weeping, le premier tome d’un nouvel arc d’au moins cinq romans, se déroulant après
Les Livres de la Pierre Scintillante, est donc un évènement en soit : il aura fallu attendre 25 ans pour continuer l’aventure auprès des membres de la Compagnie Noire !
Premier constat à la lecture de
Lies Weeping : les années ne se sentent pas ! Il apparaît rapidement évident que Glen Cook n’a jamais vraiment quitté cet univers et n’a pas l’intention de démarrer ce nouvel arc comme un auteur qui retrouve avec un peu trop de tendresse des personnages laissés sur le côté depuis trop longtemps. On pourrait tout à fait passer de
Soldats de Pierre à
Lies Weeping sans ressentir les années qui séparent les deux romans.
La rupture se fait cependant claire avec le changement de narrateur. Si Toubib, réincarné en Shivetya, n’est pas bien loin et a le droit à quelques chapitres passionnants (et pour lesquels je conseille la lecture préalable de
Port of Shadows), la narration est avant tout portée en alternance par ses deux filles adoptives : Shukrat et Arkana. Voir un vieil auteur de plus de 80 ans se mettre dans la peau de deux adolescentes pourrait laisser craindre le pire côté malaisance, mais c’est sans compter sur la plume facétieuse de Cook qui s’en amuse et sait trouver le bon ton. Une des réussites du roman se situe notamment dans les piques que Shukrat et Arkana s’envoient par chapitres interposés et qui évoluent au fur et à mesure que les relations entre les deux cousines se resserrent. Mais, comme il le prouve de plus en plus dans ses derniers romans, Cook surprend aussi dans la façon très subtile et délicate, par petites touches empruntes de mélancolie, qu’il a d’aborder des thématiques plus rudes, comme le deuil de Madame ou le trauma d’Arkana.
Cela dit, structurellement, on sent bien que
Lies Weeping est le début d’une nouvelle histoire. Une bonne première moitié du roman se concentre sur le quotidien de la Compagnie dans le monde de Hsien et nous raconte ses petits déboires avec les singes qui attaquent les récoltes, des messages étranges mais inoffensifs qui apparaissent un peu partout dans le village et des espions à la mission un peu floue. Un démarrage calme, mais jamais ennuyeux, qui permet de reprendre contact avec la galerie très réduite des personnages emblématiques de la Compagnie Noire et de se familiariser avec Shukrat et Arkana.
Le tout est dynamisé par des interludes racontés du point de vue de Shivetya/Toubib qui est bien décidé à profiter de ses pouvoirs pour en apprendre plus sur les origines de la femme de sa vie, Madame. À ce niveau-là, l’auteur continue son projet entamé avec
Port of Shadows d’approfondir son univers en levant le voile sur la période de la Domination, plusieurs siècles avant les évènements racontés dans les Annales.
Mais ce démarrage qui semble anecdotique de prime abord est trompeur : petit à petit, Cook recolle les morceaux et transforme ces petites pastilles en des mystères un peu plus importants pour son univers et, surtout, plus dangereux pour la Compagnie Noire. Autant être prévenu, c’est à peu près à ce moment-là que le roman se termine de manière abrupte sur un cliffhanger. L’auteur semble en effet avoir opté pour une construction plus feuilletonnante pour cet arc que pour ses romans précédents. Pas d’inquiétude, les trois suivants sont déjà écrits et la parution du prochain tome,
They Cry, est d’ores et déjà prévue pour fin 2026.
Avec
Lies Weeping, Glen Cook prouve donc une nouvelle fois qu’il n’a rien perdu de sa superbe et que la Compagnie Noire, saga démarrée en 1984, a encore de beaux jours devant elle. La capacité de l’auteur à être à la fois terriblement moderne dans son style et en même temps en dehors de toute tendance actuelle rend le tout magnifiquement intemporel.
Un bon point pour un roman qui risque malheureusement d’attendre au mieux quelques années avant de paraître en français, vu comment les choses se présentent.