Lors de sa sortie, en 1981, ce premier tome du Parlement des fées fut acclamé par la critique New-Yorkaise, et plus généralement, par la critique américaine. Passé assez inaperçu dans nos contrées, l'œuvre mérite pourtant d’être redécouverte, tant le style et le travail de cet auteur culte outre-Atlantique sont inaccoutumés.
Ce premier tome est assez déroutant. La typographie même du roman est déstabilisante, et assez inhabituelle pour un roman de Fantasy. Découpé en sorte de paragraphe et de sous-paragraphes, L’orée du bois est assez difficile d’accès. Crowley, dans une maison très particulière, créé tout un univers, assez extraordinaire, mais également très éloigné des archétypes courants du genre.
L’histoire en elle même est plutôt agréable, et le style de l’auteur assez direct et incisif permet de s’immerger complètement dans l’atmosphère déconcertante du livre. Le déroulement chronologique de l’intrigue dans ce premier tome pourra par contre en rebuter plus d’un ; retour en arrière, ellipses nombreuses, évènements déterminants passées sous silence durant plusieurs dizaines de pages etc. De plus, les personnages, peu charismatiques, rendent l’action assez inintéressante, et le rythme saccadé des péripéties n'encourage pas au contraire. Le récit ne fait qu'alterner entre moments d'une intensité rare et … autres (longs) passages, pour le moins assommants.
On pourrait alors se demander à juste titre pourquoi le Parlement des fées fut l'objet de tant d'éloges de la part de la critique américaine... Et bien, l’originalité, l’extraordinaire inventivité de Crowley jouent. L'Orée du bois sort des sentiers battus, et ne laissera personne insensible. Plus expérimental qu’autre chose, c'est une œuvre à découvrir, ne serait ce que pour se faire une idée de cette fantasy contemporaine, à contre courant de tous ces cycles, tétralogies naissantes, de l’époque.
C'est, in fine, la portée écologique, voire parfois philosophique, de cette oeuvre qui fait de ce premier volume du Parlement des fées un livre à posséder dans sa bibliothèque, ou du moins à avoir lu. L'Orée du bois est donc un roman aux qualités indéniables, mais à déconseiller aux exclusifs de la fantasy épique. Les lecteurs avides de nouveauté et d'audace devraient, eux, y trouver leur compte. Reste que, dans le même champ, ce roman souffre terriblement de la comparaison avec un Holdstock, beaucoup plus agréable à la lecture.
Ceux qui ont aimé le premier volume adoreront le second. Ce deuxième volet corrige en effet la plupart des maladresses du précédent, et le lecteur qui pouvait rester sur sa faim lors de la lecture de L'Orée du bois ne pourra qu'apprécier les améliorations notables, dans le fond comme dans la manière. La typographie de Crowley s'impose toujours à l'œuvre, sans cette fois-ci, nuire à la qualité du rythme et de l'action, plus intense. Le suspens qui manquait tant au premier opus du Parlement des fées est ici l'enjeu du roman.
L'intrigue est palpitante, et l'auteur nous épargne les longues pauses présentes dans l'Orée du bois. L'immersion est plus rapide, plus forte, et l'enchaînement plus fluide des aventures développées en parallèle améliore considérablement la qualité de la lecture.
Le point le plus positif que l'on retiendra de cette lecture, c'est l'envergure nouvelle des thèmes abordés dans le premier volet. La confrontation écologique de ces deux mondes qui s’affrontent est passionnante, et l’allégorie tout simplement éblouissante de subtilité et d’ingénuité. L'urbanisation et ses pendants s'incarne dans la Cité, et entre en opposition directe avec l'utopique monde Fantasy, chargé de sens par Crowley. Il y a du Le Guin dans L'Art de la mémoire. En évitant tout manichéisme et en s'inscrivant pourtant clairement dans une démarche d'écolo convaincu, l'auteur fait de ce second volet du Parlement des fées un ouvrage séduisant et magique, bien plus achevé que le précédent. L'œuvre est plus intense, presque épique par moment, et le talent de Crowley prime sur les maladresses inhérentes à son style qui alourdissaient la lecture de L'Orée du bois.
On ne peut dès lors que regretter l'écart flagrant qui existe entre le premier et le second volume de l'œuvre. Néanmoins, le brio déployé dans L'Art de la mémoire vaut bien la lecture laborieuse de l'Orée du bois.
— Candide