Avec La Sorcière de Lune (on peut regretter que le titre ne suive pas celui de la version originale, contrairement au premier tome), Marlon James signe un second volet tout aussi fascinant que le précédent. Ce roman n’est pas une suite classique Léopard Noir, Loup Rouge. Plutôt qu’une progression linéaire de l’intrigue, James choisit ici de revisiter certains des événements du premier tome à travers une perspective radicalement différente : celle de Sogolon, la Sorcière de la Lune, figure aussi imposante qu’insaisissable.
Sogolon, la narratrice, nous entraîne dans son récit hautement intime, retraçant une existence presque deux fois centenaires (ou plus ?), marquées par la souffrance, la rébellion et la magie. Sa jeunesse, marquée par les abus et le mépris, forge une femme endurcie, capable de tenir tête à des forces bien plus grandes qu’elle. De sa survie face à un environnement hostile à son ascension comme figure devenue légendaire, elle devient une adversaire redoutable pour l’Aesi, le puissant chancelier du roi doté de pouvoirs mortels, avec qui elle partage une rivalité qui s'étend sur bien des vies. Cette narration offre non seulement un contrepoint à la vision de Pisteur dans Léopard Noir, Loup Rouge, mais remet également en question les notions de vérité et de mémoire dans une œuvre où chaque point de vue semble fatalement biaisé par son narrateur.
Le style de Marlon James demeure aussi singulier que dans le premier tome : une prose lyrique et viscérale, mélangeant mythologie africaine, fable et épopée, tout à la fois, sans fausse note. L’approche non linéaire de l’histoire, combinée à une narration parfois peu fiable, invite le lecteur à reconstituer les pièces du puzzle, tout en s’immergeant dans un univers aussi riche qu’impitoyable. La féminité, la résilience et la confrontation aux structures patriarcales dominent ce volume et sont au cœur du récit, offrant une profondeur et une complexité qui élargissent encore la portée de la trilogie.
La Sorcière de la Lune s'affirme donc comme bien plus qu’une continuation, que le traditionnel tome 2 servant de pont : c’est une relecture, une mise en lumière des zones d’ombre, et une œuvre qui s’impose par elle-même. Avec ce deuxième volet, Marlon James prouve une fois de plus qu’il est un conteur d’exception. On espère que le tome 3 arrivera bientôt, car l’attente du dénouement de cette véritable saga ne manque pas de se révéler d'ores et déjà fébrile.
— Gillossen