Le Changelin tient à la fois du récit de fantasy et de celui d’horreur, comme en témoignent les divers prix qu’il a reçus et qui le classent successivement dans ces deux genres. De la fantasy horrifique, dirons-nous pour plus de commodité.
Le texte s’ouvre avec une longue introduction qui nous familiarise avec le héros et sa vie, qui pose le décor pour mieux le ravager ensuite. De fait, ce temps pris contribue à installer une atmosphère, au demeurant plutôt chaleureuse. En lisant, on se coule tranquillement dans le bonheur quotidien d’Apollo, en mesurant tout de même une faille non négligeable, celle de l’absence de son père dans son enfance.
Il faudra environ cent cinquante pages pour que le roman démarre vraiment. Après cette mise en place qui prend son temps, une petite amorce, le début d’un décrochage, et on bascule brusquement. Comme le héros, à la lecture, on se sent perdre pied. L’ambiance devient poisseuse, inquiétante. Elle le restera, pratiquement en continu, jusqu’à la fin. LaValle nous convie en effet à un voyage pour le moins chaotique.
À travers l’histoire d’Apollo, l’auteur aborde de nombreux sujets : les difficultés quotidiennes que rencontrent les afrodescendants et les immigrés aux États-Unis, celles des mères célibataires, mais aussi le rôle de parent en général et ce qu’il implique. Le Changelin n’est pas « juste » un roman de fantasy qui fait peur, loin de là. C’est une histoire riche, qui ouvre de nombreuses pistes de réflexion et qui s’ancre très fortement dans notre réalité, dans nos sociétés actuelles, tout en abordant la question de l’héritage, des racines.
Mais pour pouvoir l’apprécier, il faut trouver son compte dans cette ambiance bien particulière, mâtinée d’horreur. En l’occurrence, ça n’est pas mon cas, et ça me paraît important de le préciser : ce n’est pas parce que le livre est mauvais. C’est même probablement parce qu’il est bon : j’ai été mal à l’aise pendant l’essentiel du temps que j’ai passé dedans. Le contrat est donc parfaitement rempli de ce côté-là, puisque l’histoire est censée provoquer ce genre de réactions. Il y a des lecteurs et des lectrices qui apprécient cela. Si moi, ça ne m’a pas permis de passer un bon moment, si ce n’est pas ce que je recherche quand je lis, cela ne m’empêchera pas de vous le conseiller.
Si vous nagez mieux que moi dans les eaux froides de l’horrifique, n’hésitez pas à adopter ce Changelin.
— Erkekjetter