Présenter She Who Became the Sun comme la rencontre entre Mulan et Le Chant d'Achille de Madeline Miller, comparaison que l'on a vu fleurir outre-Atlantique (de la part de l'éditeur en tête, évidemment.), voilà qui est peut-être un peu exagéré et surtout bien difficile à assumer pour un premier roman, en plus de se révéler tout de même sujet à raccourcis. Un premier roman qui ne démérite absolument pas pour autant.
Notons-le d'entrée.
C'est un texte qui s'interroge avant tout, et interroge avec lui son lectorat sur des notions de pouvoir, d'identité, sur le regard de l'autre et sur qui est cet autre, à travers cette réécriture de l'ascension de Zhu Yuanzhang, le premier empereur de la dynastie Ming. Zhu et Ouyang (un eunuque, lui aussi déterminé à se hisser au sommet) se révèlent en figures complexes, solidement charpentées, dont les luttes intérieures qui les voient aux prises avec leurs destins et leurs genres se font tout en nuances. Zhu ne cherche pas "juste" à se faire passer pour un homme pour survivre, c'est une partie intégrante de son identité. Pour ce faire, le roman prend toutefois son temps. Malgré les enjeux et ce que l'on pourrait imaginer d'un simple coup d'œil au résumé, le rythme est lent et l'intrigue progresse bien davantage autour des personnages et de ce qui se passe dans leur tête que dans l'action pure et dure. le style de Shelley Parker-Chan est pourtant dense, il n'est donc pas question de délayage ici.
Si les protagonistes de cette histoire nous sont présentés avec force détails, le lien avec eux ne se fait pas toujours, pas pleinement en tout cas. Zhu et Ouyang incarnent comme on le disait un peu plus haut des figures intéressantes dans leur rôle respectif, avec d'ailleurs une certaine ambiguïté bienvenue quant à leur nature profonde (nature humaine, s'entend), mais on a parfois l'impression de les étudier à la loupe, avec précision, certes, mais surtout avec une certaine distance, qui ne disparait jamais véritablement. Parker-Chan peine à faire tomber les barrières, peut-être finalement du fait de ce style sans doute un peu trop poétique par rapport à ce qui se joue sous nos yeux une fois passés les premiers chapitres. Le personnage de Ma Xiuying reste encore le plus attachant du lot.
Quoi qu'il en soit, si vous recherchez de la fantasy d'inspiration historique, si vous aimez les intrigues politiques denses et tendues à l'échelle d'un empire, si vous aimez le souffle de l'épopée et des destins tragiques, le tout soutenu par un style riche et adulte, dans le propos comme dans la forme (ne vous attendez pas à sourire, l'atmosphère est sombre), She Who Became the Sun, premier tome d'un diptyque ambitieux, possède largement les atouts à même de vous satisfaire.
Le roman de Shelley Parker-Chan se montre au bout du compte nettement plus abouti que beaucoup d'autres sorties récentes explorant cette veine et c'est tant mieux. Il faut juste, comme toujours, savoir raison garder face au poids des attentes après une sortie aussi savamment orchestrée !
— Gillossen