Il est des auteurs dont le style possède une saveur particulière que l'on retrouve dès les premiers passages. Andrus Kivirähk est de ceux-ci. Le Papillon, premier roman écrit en 1999, annonce déjà Les groseilles de novembre et L’homme qui parlait la langue des serpents. La langue y est finement ciselée, à la fois littéraire et vivante, avec des phrases à la force d'évocation puissante. Les lecteurs tombés sous le charme d'écrits plus récents de cet auteur s'y retrouveront vite en terrain familier.
Cela étant, l'ouvrage pourrait désarçonner une partie des habitués d'Elbakin.net. Si ce livre court est emplit à chaque page d'une folie et d'une fantaisie rafraîchissante la fantasy, bien que présente en arrière-plan dans les moindres recoins, y est dispensée avec parcimonie. C'est avant tout de réalisme magique qu'il est question ici, dans la lignée d'Ahmadou Kourouma ou de Garcia Marquez, avec les apparitions fugaces d'un folklore estonien perdant en influence.
Le Papillon est une œuvre inhabituelle, au départ projet de l'auteur sur l'histoire du théâtre estonien. Du théâtre il est en effet question, tout le long de l'ouvrage, avec un vibrant hommage à cet art, sa symbolique et ceux qui le portent. Le lecteur y croisera donc des figures réelles de ce mouvementé XXème siècle et les connaissances risquent parfois de manquer pour saisir allusions et références.
Le papillon est en effet une œuvre à clefs. Le théâtre en est une, les traditions et légendes estoniennes en sont une autre. Des figures légendaires apparaissent derrière les traits de certains personnages et bien que dilué, un héritage ancien, variable est identifiable chez d'autres. Rares sont les choses ici explicitées : ne vous attendez pas à croiser un troll à chaque coin de rue mais plutôt la persistance, diffuse, des traces d'une terre où la fantasy était chose courante et marque encore les protagonistes. Ode au théâtre, hommage au folklore, le papillon est également une œuvre marquée ce moment si particulier que fut l'indépendance de l’Estonie au sein d'un siècle tragique, entre invasion et occupations.
L'intrigue, suivant une troupe bigarrée de comédiens à travers le récit autobiographique -manifestement arrangé par un narrateur peu fiable- de l'un d'entre eux, August Mihklisoo, en garde une forte teinte mélancolique. C'est avant tout cette ambiance envoûtante de fable, servie par une plume de qualité, qui marque après plusieurs mois le lecteur, plus que le scénario lui-même.
Sans être le coup de cœur que représentent les écrits suivants de l'auteur, ce Papillon annonce tout le potentiel qui allait s'exprimer par la suite.
— K