Michael Marshall Smith s'est fait connaître il y a déjà plus de quinze ans déjà avec Avance rapide, un pur roman de SF qui avait marqué les lecteurs à l'époque. "Quelques" livres plus tard, on le découvre ici avec un récit ancré dans le réel mais avec une grosse dose de surnaturel voire de magie, qui évoque les romans de Neil Gaiman, une citation de ce dernier étant même utilisée en bandeau par l'éditeur.
La boucle est bouclée.
Et c'est vrai que le roman fait souvent penser à du Gaiman, période Un océan au bout du chemin ou même De bons présages, pour une partie du background, même si La Vie... n'a rien d'un roman misant sur l'humour. Le ton du narrateur - car il y en a un - le type de personnages, Hannah la petite fille candide et débrouillarde, un champignon qui parle, des gnomes renfrognés ou... pourquoi pas le diable en personne. Voilà bien des éléments que l'on aurait pu retrouver dans le même roman signé précisément par Neil Gaiman. Les chapitres, courts, s'enchaînent, entre disgressions, sauts du coq à l'âne (du moins en apparence) ou récit un peu plus classique, le temps de deux ou trois dizaines de pages.
L'histoire, au départ presque légère et un peu (trop) mystérieuse, gagne au fil des chapitres justement une certaine profondeur, avec en jeu "quelques" destins parfois touchants, pour en rester aux personnages principaux. Sur le plan du style, le ton faussement détaché (en tout cas, au début) fonctionne bien, même si tous les traits d'esprit se voulant piquants ou acerbes, eux, ne tombent pas toujours juste, quand d'autres tapent dans le mille (on pense à certaines allusions aux affres du métier d'auteur/scénariste...). Mais cette histoire d'adultes "éclairée par un regard d'enfant", comme le formule fort justement Smith lui-même, compte son lot de visions étranges et parfois presque dérangeantes, confirmant une chose : la vie d'Hannah Green (au passage un peu trop falote pendant une bonne part du roman, malheureusement) n'est pas ordinaire, loin de là.
Parfois brillant comme l'affirme Gaiman, parfois simplement bien troussé - ce qui est déjà beaucoup -, le roman de Michael Marshall Smith plaît aussi par un ton doux-amer qui se maintient jusque dans sa conclusion. Nous ne somme pas ici dans un conte, lever le voile sur une morne réalité seulement apparente ne transforme pas une vie en aventure échevelée où seul importe le frisson. Et l'auteur le rappelle sans insister lourdement. Et les histoires intimes de certains protagonistes de ce drôle de road-trip n'auront rien d'un happy-end hollywoodien pour le coup.
La Vie ô combien ordinaire d'Hannah Green constitue donc un livre moins déjanté et plus profond qu'il n'y paraît. Un roman que l'on se surprend au bout du compte à savourer plutôt qu'à dévorer.
Et l'une de ces lectures inattendues que l'on apprécie presque d'autant plus.
— Gillossen