La première chose qui frappe le lecteur des Neuf noms du soleil de Philippe Cavalier, c'est la démesure de cet ouvrage atypique de près de 900 pages, qui se déroule sur plusieurs continents à l'échelle des nations et qui survole plusieurs décennies. Mettant en action une galerie de personnages réels ou imaginaires caractéristiques de l'âge hellénique classique, ce livre est un vibrant hommage aux épopées grecques dans la lignée des œuvres d'Homère.
L'auteur emploie ainsi une abondance de détails historiques. Sans être redondants ou trop abscons, ces éléments s'intègrent parfaitement dans la trame romanesque et offrent une image précise et passionnante de la Grèce Antique et de la Perse depuis la jeunesse du héros Xénophon jusqu'à ses tribulations guerrières dans l'empire achémides et la retraite effroyable qui s'ensuivit. S'inspirant librement de l'Anabase écrite de manière autobiographique par ce même Xénophon, Philippe Cavalier remplit à sa manière les zones d'ombres du récit initial en y intégrant de subtiles touches de fantasy, à l'instar de Salâmbo de Gustave Flaubert. Androphages sanguinaires cachés dans les tréfonds d'une cité interdite, prophéties inéluctables de l'Oracle de Delphes ou divinités chthonnienes sont autant d'éléments surnaturels qui quitte alors le récit historique.
Tour à tour intimiste dans l'analyse des pensées souvent conflictuelles du héros athénien et grandiose dans les descriptions superbement illustrées du choc des batailles, le récit laisse peu de temps aux longueurs en dépit de quelques baisses de rythme, notamment au début. Après avoir mis quelque temps à se poser l'intrigue se déroule crescendo avec un sens consommé du suspense et du spectacle à travers quelques temps forts comme la bataille des deux frères aux portes de Babylone ou l'attaque surprise de Sparte par ses hilotes.
Outre la richesse de l'histoire, un autre point fort du livre tient à ses personnages qui sont pour la plupart très réussis. On observe dans le roman une réinterprétation intéressante des figures classiques à l'instar d'un Socrate chantre de la démesure et du génie, de Platon rival de Xenophon, de la reine mère Parysatis dans son rôle de « veuve noire » ou encore le flamboyant et tempétueux prince perse Cyrus en guerre contre son frère Artaxerxès II. Appréhendés à travers les yeux de Xenophon, ils acquièrent rapidement une vraie personnalité, voire une grandeur indéniable pour certains, qui renforcent l'empathie du lecteur.
Paradoxalement c'est le héros principal Xenophon qui a parfois plus de mal à convaincre, ce dernier apparaissant par moment trop parfait et détaché des contingences humaines, ce qui a tendance à le désincarner.
Une chose est certaine : on ne ressort pas indemne de cette lecture ambitieuse qui nous plonge avec maîtrise dans la fin de la guerre du Péloponnèse et la querelle de succession sanglante entre les princes achéménides. Mis en scène par une plume érudite et flamboyante, Les Neuf noms du soleil ne laissera personne indifférent et possède tous les arguments pour séduire largement au-delà du cercle des amateurs de l'Antiquité grecque.
— Belgarion