On le sait, ou du moins, on le répète sans doute en partie bêtement, recueils de nouvelles et anthologies ne sont pas faciles à vendre au public. Encore que les premiers, compilant des récits d'un même auteur, peuvent toujours prétendre attirer les fans de ce dernier, quand il s'agit d'un nom établi, tel un Neil Gaiman par exemple. Du côté des anthologies aux thématiques parfois très pointues, si l'on met de côté les parutions adossées à un salon (Les Imaginales, Les Utopiales, le Salon Fantastique...), la tâche s'avère souvent encore plus complexe.
Y compris chez de grandes et belles maisons comme la collection Lunes d'Encre de Denoël. La preuve, j'avais totalement raté la publication de cette anthologie présentée par Thomas Day/Gilles Dumay, publication qui remonte pourtant à... 2005. Oui, plus de dix ans... Et quelle erreur ! Je regrette vivement cet oubli.
Il n'y a qu'à jeter un coup d’œil au sommaire : l'ouvrage réunit de véritables pointures, autour de la thématique des récits du voyage aux destinations souvent... chaotiques. Bien sûr, la qualité des participants ne signifient pas forcément que les textes se révéleront à l’avenant, mais c'est le cas ici. On retiendra en particulier une fois parvenus au terminus le fantastique glacé et glaçant de Ian R. MacLeod avec son officier scientifique perdu en Arctique ou bien encore le Delà de Lucius Shepard, avec son train noir embarquant paumés et désespéré pour une destination qui semble leur promettre un nouveau départ. Non dénué d'humour et de quelques répliques percutantes, le récit fonctionne - entre autres - comme une métaphore de la condition humaine dans une Amérique qui semble avoir oublié ses rêves, même si la conclusion n'est pas forcément à la hauteur des promesses intrigantes des premières pages.
Difficile de ne pas mentionner aussi l'élégance du Prométhée invalide de Walter Jon Williams, même si cette uchronie aux personnages travaillées n'est pas fondamentalement originale... au contraire du Pays invaincu de Geoff Ryman, World Fantasy Award de la meilleuren novella en 1985. On comprend vite pourquoi à travers son traitement du génocide cambodgien, via des idées et des visions aussi déroutantes que fabuleusement terribles, le plus souvent. Un texte exigeant, parfois éprouvant, mais qui nous laisse saisi. Finalement, seule la novella de Bishop, la plus "SF" dans l'esprit, ne m'aura pas vraiment convaincu, tout en demeurant à lire.
Ces cinq textes ont été qui plus est traduits par Jean-Daniel Brèque et présentés par une courte introduction signée Thomas Day. De quoi confirmer un peu plus encore la solidité de l'ensemble, capable de vous emporter très loin... comme tout bon voyage, par-delà les mots et le temps.
— Gillossen