Bryan Camp commença à travailler sur ce roman à l'arrière de la voiture de ses parents, en pleine évacuation au moment de l'ouragan Katrina, de funeste mémoire.
Voilà déjà qui pose les bases de l'ensemble sous la veine du réalisme. Du réalisme (magique...) et d'une affection réelle, celle de l'auteur pour la ville de la Nouvelle-Orléans, évidemment au coeur de la présente intrigue.
Le personnage de Jude, artiste de rue capable de retrouver tout et n'importe quoi, jusqu'à l'ouragan justement, constitue l'autre vraie réussite du roman, un protagoniste à même d'ailleurs de résister au poids de la ville sur ses épaules. Il est tangible, bien campé, en trois dimensions. Et, justement pour bâtir en parallèle sa ville-monde, l'auteur s'éloigne bien vite des clichés : car qui dit Nouvelle-Orléans ne dit pas forcément vaudou, heureusement, même si cette dimension n'est pas absente (Ainsi, vous n'échapperez pas aux zombies et aux vampires, au moins au singulier, si je puis dire ! Mais avec un petit truc en plus.). Camp entremêle en tout cas de nombreux canevas au fil des pages, via une ribambelle de protagonistes lancés dans une lutte acharnée.
Il faut dire qu'il s'agit là d'un roman qui prend son temps. Le récit démarre assez lentement et n'accélère pour ainsi dire jamais, quand bien même les péripéties et les rencontres ne manquent pas, bien au contraire. Mais ce n'est pas un problème, car, une fois encore, c'est un élément qui se marie parfaitement à l'ensemble et permet de donner au livre une couleur bien à lui. Il faut donc l'accueillir à bras ouverts, comme tout le reste.
Tout comme il faut accepter parfois de se perdre au détour d'une intrigue (trop) touffue, qui retombe toutefois sur ses pieds, du moins, le plus souvent. Jude se retrouve confronté aux dieux se disputant le pouvoir vacant de la ville et il a parfois bien du mal à démêler leurs véritables intentions, entre deux coups de poker menteur ; et le lecteur avec lui, fatalement.
Pas de quoi gâcher notre plaisir pour autant : le final s'emballe et nous donne largement de quoi détourner les yeux de ses petites anicroches. Et même si de temps à autre, on se dit "Non, là, tout de même, c'est trop gros pour y croire !", l'auteur parvient à se jouer de nous et de nos attentes.
Peut-être pas un tour de force, mais un joli tour de magie !
— Gillossen