Quand on a un long parcours de lecture derrière soi, les vraies surprises se font rares – et c’est d’autant plus vrai que le marché actuel de la fantasy est saturé d’œuvres interchangeables qui ne laissent guère de traces dans la mémoire une fois le livre refermé. Quand un roman vous tient en haleine pendant 400 pages et coche absolument toutes les petites cases qui permettent à un livre de se démarquer, on se dit donc qu’il faut répandre la bonne parole aussi loin que possible.
Et pourtant, L’Appel des Illustres, premier tome d’un dyptique, partait avec un handicap : sa couverture. De l’illustration (certes très réussie mais désespérément bateau) à la police d’écriture, tout fait penser à une publication Bragelonne. Un moyen d’attirer le chaland et d’encourager l’achat ? Peut-être. Mais piège ou pas piège, le lecteur curieux sera largement récompensé.
Pour son premier roman, Romain Delplancq reprend tous les codes d’une fantasy classique (un jeune homme au lignage pas très clair, une famille régnante apparemment bienveillante mais tout aussi peu claire, un peuple de saltimbanques autant versé dans l’art du spectacle que dans l’ingénierie) sans jamais tomber dans les poncifs usés. Et bien qu’il prenne le temps de poser son univers et ses personnages, il le fait de façon habile, en semant des petits cailloux qui intriguent et séduisent au lieu de frustrer.
Des clans Austrois à la famille Spadelpietra, le roman compte une ribambelle de personnages, et pas un qui ne soit en deux dimensions ou serve simplement de faire-valoir à l’histoire. Bien que le roman tourne autour du peintre Mical, le soin apporté au traitement de chaque personnage gomme presque toute notion de principal/secondaire : chacun a sa voix, sa personnalité, ses réactions propres. Dire qu’on s’attache relève de l’euphémisme.
Entre deux scènes plus denses en action ou en révélations fracassantes, l’auteur nous plonge dans l’art des Austrois, avec des descriptions concises mais très vivantes des spectacles de marionnettes ou des concerts dirigés par le compositeur Philio. En quelques paragraphes, le lecteur devient spectateur et se prend totalement au jeu. Cerise sur le gâteau, le tout est servi par une écriture fluide et agréable qui fait défiler les pages à toute vitesse. Quant au cliffhanger final, il est conçu sur mesure pour donner envie de se jeter sur la suite dès sa parution. Une telle surprise face à la qualité globale du roman n’est pas sans rappeler un certain Puits des mémoires…
Il est peut-être un peu tôt pour affirmer que la fantasy française a trouvé une nouvelle voix en la personne de Romain Delplancq, mais si le deuxième tome transforme l’essai du premier, il n’y aura aucune raison de se priver.
— Saffron