Avec ce nouveau roman, Aliette de Bodard, auteur déjà souvent nommé pour les plus grands prix internationaux pour ses nouvelles (quand elle ne les remporte pas), s’attaque à de la fantasy urbaine se déroulant… à Paris.
Mais un Paris dévasté par une guerre aussi étrange que ravageuse, où la Seine cache de sombres puissances, où de grandes maisons dirigées par des « Fallen » se disputent des bribes de pouvoir… et où les zones d’ombre ne manquent pas.
Honnêtement, au-delà de la « fascination » exercée par la plus belle ville du monde, notamment auprès du public américain, Aliette de Bodard réussit à s’en servir comme d’un cadre bien réel sans que l’on tombe pour autant dans le guide touristique (pour cité millénaire post-apo). En fait, le roman tout entier est baigné d’une certaine élégance, dans ses dialogues, ses luttes intestines, ses visions fantasmagoriques (ou pas), et toujours sans que l’auteur ait besoin pour cela d’avoir recours à un style ampoulé ou bien une intrigue globale à x niveaux, inutilement complexe.
Celle-ci se dévoile d’ailleurs peu à peu, au plus près des personnages, en bonne partie féminins d’ailleurs, qui peuplent ce monde en ruines. Mais de toute façon, il est agréable de prendre son temps pour tenter de saisir toutes les subtilités de ces arcanes en apparence très codifiées. C’est dans ses luttes de pouvoir justement que le roman m’a parfois fait penser à Ambre, même s’il en est très différent par ailleurs.
Aliette de Bodard a su miser sur une atmosphère travaillée qui n’empêche pas pour autant une lecture dynamique, et qui ne se perd pas en détails inutiles, notamment concernant la magie. Son usage est simple et efficace, tout en se montrant là aussi raffiné, aussi bien dans ses principes que dans sa mise en scène.
Alors, certes, le roman, malgré ses nombreux mystères, ne se lit pas vraiment comme un thriller et ne compte d’ailleurs pas beaucoup sur un rythme qui se voudrait échevelé, ce qu’il n’est pas. Parfois, il suffit d’un tout petit détail… pour se prendre au jeu et c'est le cas présentement. Quant aux personnages, bien que plus complexes que la moyenne, s’ils ne sont pas des monstres de charisme (en dehors de coups d'éclats le temps d'une scène), ils n’ont absolument rien de falot pour autant et sont parfois même touchants, Philippe le déraciné en tête. En tout cas, absolument pas de quoi gâcher une très bonne impression globale, pour un roman solide et ambitieux, à défaut, peut-être, de prendre énormément de risques. Ou disons encore plus.
Sachant que le premier roman d'Aliette de Bodard avait été publié deux fois finalement en France par « feu » Panini Books/Eclipse, on se demande de quelle façon un nouvel éditeur pourrait bien démêler ce casse-tête (notamment vis-à-vis des libraires) afin de lui donner une troisième chance largement méritée, mais on l'espère de tout cœur.
Le contraire serait tout de même un comble étant donné le cadre de cette histoire ! The House of Shattered Wings arrive en tout cas en langue anglaise dès le mois d'août.
Mise à jour du 9 janvier 2017 :
Une version française paraît finalement le 12 janvier, dans la collection Outre Fleuve de Fleuve Editions.
— Gillossen