Manon Fargetton, plus connue jusque là pour ses écrits Jeunesse, vient de publier un roman de fantasy plus adulte, qui rend hommage aux classiques du genre. Un bon récit de fantasy classique dispose a priori de nombreux atouts pour emporter le lecteur dans son histoire, pour peu que l'auteur parvienne à le distinguer des écrits de la même veine.
L'héritage des rois passeurs qui met en place deux mondes parallèles, reflets l'un de l'autre, qui ne peuvent être franchis que par l'intermédiaire d'un Passeur. Le monde de Rive, semblable au nôtre, et le monde d'Ombre, deviennent des entités à part entière dont les relations conflictuelles vont constituer la base de l'histoire. Manon Fargetton y ajoute une tragédie familiale, une course au pouvoir délicieusement machiavélique et la rencontre de deux héroïnes très différentes l'une de l'autre pour créer un récit trépidant, sans temps mort, qui capte toute l'attention du lecteur jusque à l'ultime page.
Mais ce n'est pas tant le bon récit qui constitue l'élément essentiel du roman mais plutôt les personnages générés par la plume de l'auteur qui apportent un peu plus de profondeur au livre. La princesse en exil Ravenn est très réussie, présentant une armure impitoyable et des facettes plus tendres. Au fil des pages, elle va gagner en maturité et devenir une héroïne fascinante qui se démarque du stéréotype de la princesse "garçon manqué". Enora poursuivie par son passé, le prêtre Luernisos le gris à la recherche de son dieu, la peintre Jana qui se cherche ou encore l'énigmatique magicien Til Enoch sont autant d'autres personnages contrastés, qui donnent vie au roman à travers leurs relations complexes, la ronde des sentiments habilement déroulée et leur évolution parfois surprenante.
Sur les points plus négatifs, il convient de pointer du doigt le fait que le récit est très court, ce qui ne permet pas à l'auteur de détailler suffisamment les deux mondes issus de son imagination. Même si l'accent est clairement mis sur les personnages et l'intrigue des passeurs, il est dommage qu'Ombre notamment n'ait pas été plus décrite pour mieux se représenter les théâtres d'opération. Autre corollaire de la brièveté du récit, les raccourcis parfois trop caricaturaux pour passer d'une situation à une autre. J'ai notamment toujours eu le plus grand mal dans ces histoires de monde parallèle avec les héros transportés dans un monde dont ils ne connaissent rien et qui s'y acclimatent quasi instantanément sans presque se poser de questions. Et il est tout aussi étrange que les habitants dudit nouveau monde ne s'étonnent pas plus de l'arrivée de trois étrangers vêtus de manière hétéroclite avec un langage et un comportement fort peu orthodoxes.
En-dehors de ces quelques défauts, la lecture de L'héritage des rois passeurs demeure très plaisante, ainsi que très abordable du fait de sa prose plus qu'accessible. Manon Fargetton est donc parvenue à sauter le pas en abordant un autre style de fantasy.
— Belgarion