Décidément, Denoël/Lunes d'encre poursuit son étincelant sans-faute en ce début d'année 2012. Après Soldat des brumes et Armageddon Rag, et en attendant le retour des Mythagos, l'éditeur change encore de registre, avec cette fois un roman signé Richard Kadrey, un roman qui nous fait basculer à cette occasion du côté de la fantasy urbaine.
Mais pas que.
En effet, à la lecture de la quatrième de couverture, ou même des premiers chapitres, on pourrait se croire dans une aventure de fantasy urbaine comme l'on en croise finalement souvent (malgré quelques indices nous laissant penser le contraire...), avec un univers caché qui se dévoile à notre héros, l'irruption de la magie dans son quotidien, des dialogues qui n'ont rien de châtié pour insister sur le caractère fort en gueule des personnages, sans même parler des traditionnelles références à la pop-culture, aussi bien pour ancrer le récit dans notre monde que pour adresser quelques clins d'oeil au lecteur...
Cela étant, pour peu que ce cocktail soit efficace, et c'est le cas, les références de l'auteur ou ses seconds rôles atypiques suffiraient à hisser le roman largement au-dessus de l'essentiel de la production du genre, en particulier en lorgnant du côté des rayonnages encombrés de la Bit-Lit.
Mais voilà.
Il suffit de patienter une poignée de chapitres justement pour que les choses s'emballent nettement : aussi bien au niveau de l'intrigue proprement dite que du côté de la plume de Kadrey, qui nous dépeint tout à coup des scènes réellement dantesques, c'est le mot, et fait preuve d'une imagination débordante qui rivalise avec certaines idées d'un Neil Gaiman période Sandman ou bien encore d'un John C. Wright façon Guerriers de l'Eternité. Le roman acquiert alors une tout autre ampleur, une tout autre couleur, et le rythme ne faiblit plus à partir de là, le roman se découpant qui plus est en courts chapitres qui s'avalent les uns après les autres, sans imposer le moindre temps mort.
C'est avec un plaisir jubilatoire que l'on se laisse littéralement emporter par ces montagnes russes déjantées et roublardes, entrecoupées de répliques cinglantes mais aussi de rencontres souvent aussi dangereuses que savoureuses... en diable.
Alors, bien sûr, on pourra trouver justement que les dialogues forcent parfois un peu le trait, que la relation entre Spyder et Pie-grièche n'est pas follement originale ou que certains fils de l'intrigue se concluent de façon quelque peu abrupte, mais, très honnêtement, ce serait bouder son plaisir et jouer les pisse-froid !
Richard Kadrey livre ici un roman à l'univers foisonnant, qui donne d'ailleurs clairement envie de le retrouver et de l'explorer plus avant encore, porté par une intrigue solide et des personnages charismatiques à défaut d'être toujours très originaux. Pour peu que l'on adhère à ses partis pris, c'est un véritable et délirant délice.
Si l'on devait exprimer un seul petit regret, ce serait sans doute l'abandon de la singulière couverture américaine au profit du classique profil de l'héroïne plus ou moins dévêtue... même si l'exécution là encore n'a rien du tout-venant des couvertures de la production Bit-Lit...
En tout cas, une chose est sûre, on attend de pied ferme Sandman Slim, du même auteur, l'année prochaine !
— Gillossen