Repéré par nul autre que Jeff VanderMeer lors d'une visite dans son vidéoclub (!) habituel, comme quoi, il faut bien encore sortir de chez soi pour faire des rencontres, Jesse Bullngton signe là un premier roman particulièrement étonnant, mais pas forcément aussi dérangeant qu'on pourrait le croire de prime abord ou en jetant un coup d'oeil à la quatrième de couverture ou bien au bandeau rouge qui orne l'ouvrage.
En effet, si l'on met de côté un "On n'est pas des voleurs, on n'est pas des assassins", une accroche qui rappellera de bons souvenirs aux amateurs d'Elie et Dieudonné, pour une fois, les critiques mises en avant par l'éditeur se révèlent tout à fait pertinentes, au point que l'on se met à douter de l'intérêt de la présente chronique.
Plus sombre que Grimm, Tarantino croisé avec Rabelais... Il y a effectivement de ça dans ce roman. Et même si les deux œuvres n'ont concrètement rien à voir, on pense de temps à autre au Parfum. Mais l'auteur ne joue pas seulement la carte de la forme, ou de l'humour cynique. Au contraire. Si certaines scènes frisent l'absurde, elles sont surtout incomparables et l'on se demande parfois sincèrement comment notre homme a pu tisser une telle intrigue.
Car intrigue il y a, même si celle-ci se délite quelque peu dans la deuxième moitié du roman, qui nous emmène notamment jusqu'en "Gypte". Le parcours des frères Grossbart, qui semble souvent aussi inexorable que lamentable (pour les personnages), nous entraîne très loin, par bien des chemins et sous bien des angles. L'ambiance est sale, poisseuse, crasseuse, cruelle, certaines visions sont tout bonnement écœurantes, à même de faire trembler d'effroi plus que de dégoût, mais cela n'empêche pas de nombreuses touches d'humour, souvent macabres, bien évidemment.
Toutefois, le roman lui-même, malgré une violence indéniable parmi ses ingrédients, n'est pas aussi sulfureux que ça. Et, finalement, c'est tant mieux. L'auteur ne donne ainsi pas l'impression d'avoir voulu choquer pour choquer. Il se met simplement à la hauteur de ses personnages, les frères en tête.
Mais il nous offre pour l'occasion une belle galerie de salopards et chaque nouveau personnage, à de rares exceptions, donne l'impression de ne surtout pas être là pour rattraper le précédent. Des rencontres qui donnent également lieu à de nombreuses joutes verbales, souvent enlevées, parfois incongrues, les dialogues occupant une part non-négligeable du roman. On peut saluer au passage le travail du traducteur, Laurent Philibert-Caillat, pour avoir réussi à retranscrire un ton et un style très particulier, précisément dans le cadre de dialogues souvent argotiques. Le travail sur l'objet livre proprement dit est par ailleurs fort réussi là aussi.
Roman étrange, presque hors-normes, loin des sentiers battus du tout-venant des parutions du genre, l’œuvre de Jesse Bullington déconcerte assurément. Nous séduit ? L'ouvrage reste difficile à cerner au bout du compte, sans pour autant exercer de réelle fascination. Il n'en reste pas moins à lire, à moins de vous considérer comme une âme (vraiment très) sensible.
Ne serait-ce que pour sa conclusion, à la fois fatale et caustique... en diable, forcément.
— Gillossen