Voici donc venue la première incursion de Thierry Di Rollo, déjà auteur de huit romans, en Fantasy, et le premier contact avec cet auteur pour votre serviteur.
C'est donc avec un regard neuf que j'ai abordé Bankgreen, sans attente particulière en dehors d'une réelle curiosité. Et, avant tout, plus que tout autre chose, après lecture, difficile de trouver un roman méritant davantage son nom que celui-ci. Plus que Mordred, plus que n'importe lequel des peuples ou des créatures croisés en cours de route, Bankgreen, un univers à part, s'impose littéralement au lecteur. Un univers sombre, âpre, dur, ce qui n'empêche pas la beauté de surgir parfois là où on l'attend le moins.
Bankgreen, c'est aussi un univers difficile à apprivoiser et que l'on ne domine jamais vraiment, un univers aux couleurs changeantes, de mauve et de noir, mais nourri aussi de craintes sourdes et d'espoirs fragiles. Ce qui ne le rend que plus fascinant et implacable. Bien sûr, nombreuses sont les questions qui demeurent sans réponse. Au point qu'en cours de lecture, on peut se demander si l'auteur ne s'est pas lancé avant tout dans un - brillant - exercice de style, une véritable démonstration de démesure brute, un tour de force malgré tout un peu vain.
Avant que, finalement, on se laisse emporter par cette atmosphère unique, définitivement brisé pour mieux être balayé par la nève poudreuse qui tombe doucement sur ces terres désolées. Sur Bankgreen, il ne faut donc pas espérer voir chaque parcelle d'intrigue se dévoiler sous nos yeux, chaque destin suivre un chemin balisé, balisé mais pourtant irrévocable. Bankgreen, c'est un monde concret, tangible, une formulation que l'on utilise souvent en fantasy mais qui dans le cas présent n'a rien de galvaudé. Un monde qui suit donc ses propres règles et pas celles que l'on attend forcément d'un roman, fût-il donc de dark fantasy. Bankgreen nous envoûte, certes, mais mieux, nous bouscule.
Au-delà de nombreuses visions saisissantes (la première apparition du varanier, les interventions de Lyve, la rencontre entre Mordred et le jeune Niobo, la "plongée" du Nomoron, on pourrait multiplier ainsi les exemples...), le roman frappe d'autant plus par le biais du style minéral de l'auteur imprégnant chaque page, chaque ligne, donnant vie, c'est le mot, à un monde façonné par le Temps et la Mort.
Évoluant dans cet univers, se gaussant de sa propre futilité, Mordred n'est pas Elric, dans le sens où le personnage ne domine pas Bankgreen comme le fait le Prince des Ruines des Jeunes Royaumes. Mais ce n'est pas un mal. Créature d'acier et de solitude, Mordred traverse le roman, finalement simple pion, lui aussi, et pourtant, bien plus que cela. Les autres figures qui peuplent Bankgreen, et elles sont nombreuses, demeurent souvent en retrait, visions fugaces au détour de quelques pages, d'un paragraphe, tels les représentants de dizaines de fils différents qui contribuent là encore à renforcer l'impression de ne lever au bout du compte qu'un petit coin de voile sur quelque chose de bien plus grand, mais quel coin de voile !
Bankgreen est donc un univers ô combien dangereux, mais tellement fascinant. Une chose est sûre : il est sans concession, à l'image de ce que nous propose son auteur, et il ne faudra donc pas compter sur lui pour se rendre plus accessible. Au lecteur de faire l'effort de se confronter à cette aventure capable de le perdre, de l'égarer au détour d'un sentier de cendres, une aventure aussi gratifiante que frustrante par endroits.
De fait, si souvent on ne trouve plus ni le temps ni l'envie de relire ou reprendre un livre, Bankgreen supporte largement une deuxième lecture, et pourquoi pas sitôt terminée la première. Une deuxième et bien d'autres encore, très certainement...
On ne peut que se féliciter en tout cas de voir Thierry Di Rollo avoir eu envie d'investir la Fantasy. Il signe là l'un des meilleurs romans de ce début d'année.
— Gillossen