Est-il encore besoin de présenter le barbare Fafhrd et l'habile Souricier Gris ? si oui, disons simplement que l'oeuvre de Leiber fait partie des monuments fondateurs de ce que lui décida d'appeler sword and sorcery, et que Sprague de Camp appela Heroïc Fantasy.
De ces dizaines de nouvelles écrites entre 1935 et les années 1970, Chaykin et Mignola ont tiré près de 190 planches de bandes dessinées, parues en français chez Zenda en quatre tomes puis rééditées en un volume unique aux éditions Delcourt. Le format est ramené aux normes "comics", la traduction est revue, mais les planches sont pratiquement identiques entre les deux éditions.
Pour le lecteur averti qui connaît son cycle des épées sur le bout des doigts, cette adaptation aura sans doute un goût de trop peu : les intrigues sont simplifiées, l'action est accélérée, les nouvelles sont condensées dans sept chapitres graphiques. La violence est présente, mais forcément édulcorée : pas de dessins sanglants, pas de duels s'étendant sur plus de quelques cases. Pourtant, on prend le temps de retrouver la mélancolie et la philosophie de comptoir qui anime nos deux héros, plongés dans un monde baroque et bigarré... et les ellipses temporelles laissent entrevoir l'étendue du monde créé et la diversité des aventures narrées.
Par contre, pour le novice - ou, osons le dire, pour celui qui aura trouvé vieillotte et longuette la prose de Leiber - cet album constitue une version plus légère, plus rythmée et évidemment plus visuelle du monde de Newhon, de ses sortilèges et de ses héros.
C'est ainsi qu'après avoir lu cet ouvrage, on pourra être tenté d'attraper n'importe quel volume du Cycle version texte, pour se plonger dans une nouvelle au hasard...
Graphiquement, peu de surprises : le style assez personnel de Mike Mignola est plutôt constant, et rappelle ses oeuvres plus connues comme Hellboy ou B.P.R.D. On appréciera tout de même l'ambiance sombre de la cité de Lankhmar, particulièrement bien rendue, et les arrière-plans très travaillés de certaines cases. Les visages ne sont pas "beaux" mais ils sont expressifs et parfaitement reconnaissables. Les sorciers et les sortilèges sont efficaces... à défaut d'être spectaculaires. Il s'agit vraiment de graphic novel au sens américain : les images sont avant tout des supports pour l'histoire, et non des oeuvres d'art à part entière.
En résumé, voilà une bande dessinée qui présente en un copieux volume l'essentiel d'un "grand classique" de la littérature fantasy, sans éblouir... mais sans démériter. Une lecture recommandable, donc... et peut-être une porte ouverte vers les nouvelles de Leiber !
— Sylvaner