Avec ce retour au roman « adulte », Johan Heliot signe un ouvrage ambitieux, complexe, et intriguant. Voire exigeant.
En effet, si cet Ordre noir conserve parfois un parfum de série B, au gré de ses péripéties ou de ses personnages, la forme comme le fond en diffère largement et demande un certain effort aux lecteurs. Pour peu que ceux-ci soient prêts à le consentir, c'est bien le fait de savourer l'ambition du roman à sa juste valeur qui pourrait les récompenser. Aux frontières des genres, mais lorgnant évidemment plus naturellement vers le fantastique que la fantasy pure et dure, difficile de le nier, cet ouvrage n'hésite pas à brasser moult thématiques, aussi bien religieuses, scientifiques, politiques, historiques, etc, etc...
Dans son exécution, l'auteur ne réussit pas toujours à, précisément, embarquer le lecteur avec lui. De nombreux personnages sont brossés à la va vite, même si un certain sentiment d'urgence empreigne tout le récit, ce qui explique sans doute cela. Les dialogues sont souvent laconiques, le style lapidaire... Mais l'auteur ne joue pas sur cette corde-là, on s'en rend compte bien vite. Contrairement au Vegas mytho de Christophe Lambert, sorti un mois auparavant seulement, l'auteur ne cherche pas le bon mot, la formule choc, pas plus qu'il ne cherche à installer une réelle proximité entre ses personnages et ses lecteurs.
C'est donc davantage vers ses partis pris scénaristiques et les pistes soulevées qu'il faut se tourner pour réellement apprécier le roman, qui, en lui-même, ne se livre pas facilement aux lecteurs, comme on le disait un peu plus tôt. Peut-on pour autant parler de mérite à en venir à bout ? Que la question soit posée, aussi bien positivement que négativement, ne suffit pas.
Mais le fait est qu'Ordre noir souffre de quelques lacunes, au-delà donc de sa difficulté d'accès. On aurait ainsi aimé que le roman aille encore plus loin, qu'il ne se laisse pas aller à certaines facilités ou rebondissements convenus... qui, là encore, seraient sans doute passés, et passent mieux, dans un Vegas mytho, qui joue avant tout sur le fun, sur le plaisir immédiat de lecture. À moins d'être totalement emporté par cette histoire multiple dès les premières pages du roman, l'ouvrage ne se révèle jamais passionnant par lui-même, ou bien, en tout cas, par trop rarement. C'est bien davantage la réflexion qu'il peut ouvrir et qui découle de la lecture proprement dite qui stimulera, éventuellement, une partie du lectorat.
De fait, difficile de nier pour autant que l'on tient là une uchronie racée, troublante, et, une fois encore, ambitieuse. Mais quant à savoir si le roman lui-même représente l'écrin idéal, si tant est que la chose existe bien entendu...
On peut se permettre d'en douter.
— Vermithrax