Paul Kearney n'est pas ce que l'on peut vraiment appeler un auteur particulièrement chanceux. Ses précédents romans se sont généralement contentés d'un succès d'estime, et l'on ne reviendra pas ici sur certains de ses problèmes éditoriaux.
Annoncé depuis longtemps déjà, 10 000 saura-t-il lui ouvrir en grand les portes de la reconnaissance publique, pour changer ? Les premières pages ne nous laissent en tout cas pas une impression impérissable. L'auteur semble vouloir se reposer sur un certain réalisme et, par la même occasion, ne compte pas présenter forcément les premiers personnages à croiser notre route comme des figures héroïques inébranlables. Un bon point à ce niveau malgré tout, si ce n'était donc quelques lourdeurs pesantes.
Il faut très tôt s'en rendre compte : quand on nous affirme que ce roman est en fait largement inspiré par l'Anabase de Xénophon, il ne s'agit pas de paroles en l'air. L'ambiance générale est bien plus proche d'un 300 que du Choc des titans. Chacun se fera donc son opinion selon ses goûts sur ce plan-là (à savoir, où place-t-on le curseur de la Fantasy...), mais la caractérisation des personnages reste au passage longtemps superficielle, tandis que les longueurs ne nous quittent pas pour autant.
Si la prose de Kearney s'avère en elle-même sans fioriture, carrée, il se laisse malgré tout trop souvent emporter par le poids des mots. Alors, pas de doute, il en impose, et le roman constitue une véritable mine à "citations du jour" pour notre site.
Mais c'est bien dans la deuxième moitié de l'ouvrage, lorsque les personnages prennent enfin vie sous nos yeux et lorsque leur destin compte plus que telle ou telle approche militaire de telle ou telle configuration de terrain, quand la grande histoire s'efface devant la petite, quand un peu de subtilité accompagne enfin cette fuite en avant dont on devine cela dit rapidement la fin, y compris sans aucun doute quand on ne connaît pas l'œuvre originale de trop près... C'est là que le roman prend toute son ampleur. Kearney finit par trouver sa propre voix, et le récit, au-delà de la prose, n'en est, logiquement, que meilleur.
Les dernières pages du roman, aussi âpres qu'inexorables, font sans aucun doute partie des meilleures scènes de cette histoire aux accents aussi antiques que tragiques.
Qui aime bien châtie bien, comme le veut l'adage. Nous avons jusque-là passé sous silence bon nombre de points forts du roman, comme ses scènes de bataille sans concession et parfaitement menées. Son ambiance vraiment à part nous changeant du tout venant Fantasy. Une vraie rigueur et un auteur de toute évidence passionné par son sujet...
Il n'en demeure pas moins que l'on attend finalement toujours le saut qualitatif définitif dont on sent Paul Kearney capable. On aurait bien aimé que ce 10 000 en soit la preuve éclatante, en mettant à profit cette base historique sensationnelle.
L'auteur ne fait que l'effleurer, le frôler, à plusieurs reprises bien entendu, mais il ne le saisit que trop rarement à bras le corps. Du solide, de l'appliqué, mais l'étincelle ne flambe que par intermittence.
— Gillossen