Gollancz a souvent décroché le gros lot ces dernières années avec ces nouveaux auteurs, car tout le monde n’a pas la chance, ou le talent, de « sortir » un Scott Lynch ou un Joe Abercrombie, pour n’en citer que deux. Et Sam(uel) Sykes représentait donc l'année passée le nouvel espoir de l’éditeur anglais dans le cadre de la cuvée 2010, avec son Tome of the Undergates.
Un roman se permettant de commencer par une bataille en pleine mer (à plusieurs... vagues) s’étalant sur... plus de cent pages et multipliant les rebondissements (et les morts...) jusqu’à la nausée, ou peu s’en faut, voilà qui n'est pas si commun comme introduction !
Pourtant, tout est fluide, les personnages sont posés de façon claire et efficace - parfois en quelques lignes à peine - les répliques assassines fusent... Mais mieux vaut savoir retenir son souffle une fois jeté dans la mêlée. Cela dit, une fois cette copieuse entrée en matière évacuée... Que dire ?
Le roman se présente ensuite comme un véritable feu d’artifice, détournant souvent les poncifs de la traditionnelle quête en fantasy épique, à travers une intrigue plus complexe d'ailleurs qu'il n'y paraît. Alors, aucun doute là-dessus, si Sam Sykes évoque les deux auteurs cités plus haut par le ton, il possède indéniablement sa propre patte.
Le jeune homme, 26 ans seulement, peut, il est vrai, compter sur une belle verve et pas uniquement sur son sens des dialogues aiguisés pour la mettre en avant. En quelques pages, voire en une poignée de mots, le lecteur peut passer d'une scène d'action sanguinolente à une description à la poésie souvent incongrue mais bel et bien là.
De même, ses personnages se partagent relativement équitablement l’attention du lecteur. Personne ne tire la couverture à lui, même si évidemment Lenk sert souvent de référent principal. Lenk, à la fois moins dur et plus tourmenté que l'on pourrait le croire, Denaos, assassin répugnant au passé trouble moins cynique qu'il le prétend lui-même, Asper, la prêtresse à la foi moins solide que prévu... Tout un petit groupe loin de partager un sentiment de franche camaraderie.
Car on apprécie également la vision de protagonistes, pourtant donc censés faire équipe, se planter constamment des couteaux dans le dos, parfois presque littéralement, ou du moins s’invectiver vertement. Si l’auteur sait manier le verbe et se renouveler, d’aucuns pourraient se lasser au bout de quelques centaines de pages. Heureusement, les choses s’améliorent d’elles-mêmes dans ce domaine une fois entré de plain-pied au cœur de l'intrigue, quand l’auteur semble opter pour une démarche plus classique mais également mieux maîtrisée. Les relations se précisent et s'approfondissent et certains personnages se révèlent bien différents de la première impression donnée.
Pour le reste, l’intrigue se révèle suffisamment fournie et le monde créé suffisamment grand, pour que l’on ait envie d’en savoir plus et donc, fatalement, de connaître la suite. Et surtout, cette envie grandit au fur et à mesure que l'on avance le roman, car Sam Sykes n'hésite pas à entretenir de nombreux mystères. Son univers n'est en fait pour le moment pas si épique que ça. On reste avant tout collé aux basques de nos aventuriers, eux-mêmes loin d'avoir vraiment conscience de savoir où ils mettent les pieds.
En tout cas, l’acerbe Sam Sykes – ses interviews ou son blog ne manquent pas d'humour – n’a toutefois pas toujours réussi à se réfréner dans le cadre d’un roman qui part souvent dans tous les sens, mais qui ne manque pas d’allant et de mordant.
S’agissait-il du meilleur premier roman de fantasy de l’année dernière en langue anglaise ? Tout dépend de ce que l'on cherche. Mais ce qui est certain, c’est que Sam Sykes est un sale gosse talentueux qui (nous) pose de vraies questions sur un genre usé et tente, globalement avec succès, de lui apporter son dynamisme, en jouant avec ses tropes pour mieux les contourner (l'absence de carte) ou au contraire se livrer à une déconstruction en bonne et due forme des règles établies.
Il n’y a plus qu’à souhaiter qu’il puisse canaliser son imagination et son enthousiasme débordant. Ce qui paraît largement à sa portée, d’autant que la rédaction de ce premier roman avait été entamée il y a plusieurs années déjà. Nul doute qu’une certaine maturité va poindre le bout de son nez... même si l’auteur s’en amuse aussi !
— Vermithrax