Et voilà une nouvelle trilogie qui débute, une de plus pourrait-on dire avec un soupir las... Pourtant, malgré une 4ème de couverture pas forcément très engageante, semblant vouloir faire cohabiter un certain nombre de clichés dans une ambiance lourde, il nous faut bien nous rendre à l'évidence.
Bakker fait une entrée réussie, aux côtés d'auteurs comme Martin, Erikson, ou Kearney que l'on a pu découvrir récemment en VF pour ce dernier. Autrement dit, préparez-vous à plonger dans un univers sans concession, où il vous sera bien impossible de trouver un personnage tout blanc, ou même tout noir, tous évoluant plutôt en niveaux de gris, rattrapés par leurs dilemmes ou leurs démons intérieurs. Ainsi, si Achamian peut faire office de héros, le lecteur ne suit pas son parcours d'un bout à l'autre du roman. Et cet homme fatigué proche de la cinquantaine, tout sorcier qu'il fut, se révèle vite pétri de doutes et de regrets.
L'histoire en elle-même se lit avec intérêt, puis avidité. Dans un monde ravagé qui peine à se relever 2000 ans après l'Apocalypse, ceux qui en craignent une seconde sont tournés en dérision. Pourtant, Achamian et ses pairs ne peuvent se permettre de renoncer. Empires, nations, peuples "barbares", écoles de pensée ou de magie, guerres religieuses, complots, trahisons, alliances... En un seul tome, l'auteur nous présente déjà un bien large éventail de ces composantes, et le plus souvent avec justesse et maîtrise. Sans compter qu'il possède du style et une idée certaine de la mise en scène, ce qui là encore aide à se distinguer de la masse afin de viser plus haut. On se souviendra ainsi de scènes marquantes, comme la quasi-lapidation d'Esmenet la prostituée, le duel entre Kellhus et Cnaiür, ou bien encore la folie douce de l'empereur Xérius...
Dans le prolongement de tout cela, notons encore que Bakker ne s'embarrasse pas de sentiments envers ces personnages, souvent rudoyés, mais aussi avec ses lecteurs, puisque l'on s'immerge dans ce roman comme en apnée, captant une bribe d'informations ici ou là avant de pouvoir se faire une idée plus précise de ce dont il est question. Mieux vaut penser à jeter un œil aux cartes et appendices - placés à la fin - avant lecture !
Tout ce que l'on pourra reprocher à ce Prince du Néant, c'est sans doute un défaut commun à bon nombre de premiers tomes, c'est à dire avant tout de mettre en place les pions pour la suite, ainsi que, chose plus rare et défaut déjà plus discutable, une propension assez marquée par moments à s'écouter discourir, par le biais de "tirades" philosophiques un peu trop complaisantes, à travers l'influence de Nietzsche notamment.
Mais saluons pour finir la rapidité du Fleuve Noir à nous proposer la VF d'une œuvre parue en 2003 au Canada, quand d'autres nous font attendre 10 ans ou plus...
— Gillossen