Au départ, La Route des magiciens a tout du petit roman que l'on imagine débarquer de nulle part. Un auteur inconnu, un éditeur qui ne l'est guère plus (même si on lui doit le Léviathan de Lionel Davoust), en tout cas, pas vraiment dans le domaine de l'imaginaire, une arrivée relativement discrète, sans tambour ni trompette...
Et puis, une fois que l'on commence à s'intéresser à ce premier tome d'une trilogie d'un peu plus près, on s'aperçoit que les choses ne sont visiblement pas aussi simples qu'en apparence. Quelques clics sur le site de l'éditeur et on découvre une page facebook dédiée, un résumé détaillé des deux tomes suivants (à ne pas lire avant d'avoir terminé le premier, et encore...) et surtout une mention largement mise en avant "Par l'éditrice de Tara Duncan". Dans l'absolu, rien qui ne remette en cause les qualités du roman lui-même, mais l'impression d'avoir affaire en fait à un projet rondement mené.
L'efficacité à l'américaine ? L'auteur a en effet évolué plus de dix ans outre-Atlantique avant de revenir en France, toujours en tant qu'auteur / scénariste. Et s'il y a bien une chose de sûre, c'est que ce premier tome constitue un roman efficace en diable, carré et planifié de bout en bout. L'intrigue principale en premier lieu bénéficie donc de ce sérieux et difficile de songer la prendre en défaut. Après un démarrage en douceur, le rythme du récit va crescendo et le lecteur finit par être pris dans une toile dont les ramifications le laissent sans répit.
C'est peut-être aussi pour cela qu'il ne nous viendrait pas à l'esprit de remettre en cause certains éléments en cours de lecture. On se retrouve vraiment pris par une histoire haletante dont les petites touches d'originalité font mouche. Qui plus est, le final s'avère suffisamment noir et déroutant pour étonner le lecteur et lui donner envie de découvrir la nouvelle direction que prendra l'intrigue par la suite.
Mais l'aspect le plus réussi du roman est sans doute son "casting" et la nature même des magiciens, bêtes traquées pour qui un an équivaut à un mois, personnages vieux de plusieurs siècles pour certains et de plus en plus en décalage avec l'Histoire qui elle continue d'avancer, quand eux semblent parfois bloqués, perdus. Et ce même si certains traits semblent un peu forcés, bien que cela soit parfois fait dans un but humoristique : difficile d'imaginer par exemple que même sans en boire eux-mêmes, ils ne sachent pas comment préparer un café ! Ajoutons à cela quelques clins d'oeil malicieux à l'Histoire justement, des concepts originaux concernant la nature même de la magie (même si l'on finit par se demander si cela ne fait pas là encore partie d'une démarche calculée) ou bien encore un cadre new-yorkais contemporain et difficile de ne pas se laisser séduire par l'ambiance dans laquelle baigne le roman.
Comme on le disait un peu plus haut, les personnages ne sont pas en reste, avec pour plusieurs d'entre eux un petit côté BD qui ressurgit y compris dans le décor dans lequel ils évoluent - on pense au Daily Eagle -, constat que l'on peut faire plus particulièrement pour certains des seconds rôles du roman. Les Dolce eux-mêmes composent une famille réussie, crédible, en particulier le père dépassé, Rodolpherus, ou Leamidia, la grande ado de 16 ans coincée dans un corps de fillette de 11. A côté de ça, le sympathique Antonius, baby rocker "calibré" pour apparaître comme le héros de cette histoire n'est pas désagréable mais manque de consistance, au contraire d'un Philippe Delondres et sa fille Virginie. Le vieil homme illustre avec justesse à travers lui, à travers sa vie, la condition de magicien, lui qui ne peut plus approcher son ami Rodolpherus de crainte de le mettre en danger.
On pourrait encore évoquer longtemps ainsi la richesse du roman, qui ne paie pourtant pas de mine au premier abord. Mais, en espérant que l'auteur sache se recentrer sur les forces et l’originalité de son univers par la suite et oublier un peu ce qui sonne de temps en temps faux ou articificiel en arrière-plan, il y a de quoi se laisser séduire.
— Gillossen