Le premier tome d'Acacia avait su faire beaucoup parler de lui l'année dernière, le plus souvent en bien et le roman de David Anthony Durham avait d'ailleurs su se hisser parmi nos coups de cœur de l'année.
Et voilà que sa suite arrive à peine quelques semaines après la parution américaine. Pour le coup, on peut saluer le travail de l'éditeur Le Pré aux Clercs et surtout du traducteur, l'expérimenté Thierry Arson, qui a su tenir des délais serrés.
Neuf ans après la chute des Meins, on retrouve donc les héros de l'auteur, qui ont dû mener leur barque, le plus souvent chacun de leur côté. Et Durham de nous emporter à nouveau, après un petit trot d'échauffement, dans un tourbillon d'évènements à la portée épique et pourtant souvent enjeux de questions intimes ! On craint souvent les tomes centraux d'une trilogie, coincés entre le début et la fin de l'histoire qu'il mette en scène.
Ici, l'auteur parvient à éviter les principaux écueils, en faisant avancer son intrigue et en préparant habilement le terrain pour la suite, sans donner pour autant aux lecteurs l'impression que ce qu'ils lisent n'a pas de réel impact sur le moment et que tout se jouera dans le troisième et dernier tome de la trilogie.
Les personnages, Corinn en tête, portent l'histoire et ne sont pas de simples pions sur un échiquier. L'auteur déploie un réel talent de plume pour nous faire vivre leurs dilemmes et surtout sentir la portée de leurs actes. L'auteur tourne le dos à la structure même en trois étapes de son roman précédent, pour donner enfin la pleine mesure de ses personnages, qui, pour la plupart, perdent certains aspects stéréotypés.
Toutefois, ce Terres étrangères, qui contient son lot d'informations aussi vitales que prenantes, n'est pas un parangon de fantasy épique, malgré une saveur bien plus fantasy d'ailleurs que son prédécesseur, qui, en dehors de quelques points, aurait presque pu passer pour un roman historique. En effet, Durham « profite » toujours des points de vue de ses personnages pour nous abreuver littéralement de données historiques justement, sociales, culturelles... Difficile de nier que la fantasy profite là des apports d'un romancier spécialisé auparavant dans les ouvrages historiques, mais tout le monde ne sera pas forcément sensible à l'ensemble de cette vision, qui dans l'absolu sonne souvent comme un passage obligé, alors que l'on sent bien que ce n'est pas là le but de l'auteur.
David Anthony Durham cherche en effet avant tout à se mettre au service de son univers, dont on sent qu'il a été conçu avec soin et pensé avec recul. Toutefois, certaines voix en pâtissent par moments, entraînant des chutes de rythme regrettables, nuisant quelque peu à la densité d'ensemble du roman, qui affiche une réelle tenue.
Au final, pas de doute : avec Terres étrangères, l'auteur ne déçoit pas et signe un roman dans la droite ligne du précédent, qui, au grand soulagement des lecteurs, n'a rien d'un pétard mouillé et ne devrait pas les déstabiliser quant à son contenu, en bien comme en mal. Solide, ambitieux, et racé.
— Gillossen