Festin d'âmes n'est pas la première parution en France de l'auteur. Souvenez-vous, l'Atalante a publié il y a quelques années L'Aube du soleil noir d'une dénommée C. S. Friedman. Malheureusement, le succès de semble pas avoir été au rendez-vous puisque seul le premier tome (découpé en deux volumes) de la trilogie était paru de ce côté-ci de l'Atlantique. Pour présenter Friedman en quelques mots, je dirai qu'elle n'a pas la plume élégante de Jacqueline Carey ni le sens de la mise en scène de Georges R. R. Martin. Pourtant, à l'instar de ces deux auteurs, ses romans, une fois ouverts, se dévorent sans l'ombre d'un regret et même, avec un plaisir un peu malsain si l'on considère la tonalité noire de ses univers. On ne peut nier à l'auteur une énorme efficacité dans la narration ni sa capacité à construire des personnages si complexes et marquants qu'on ne peut s'empêcher de les prendre pour modèle et de les comparer aux personnages des romans de fantasy qu'on lira par la suite.
Avec Festins d'âmes, on entre dans un univers couleur gris où les puissants ont tout et où la populace n'a rien. De fait, l'auteur choisit de nous conter l'histoire des riches, des puissants et des nobles. La populace n'ayant rien, elle semble avoir bien peu de chose à dire ; elle semble avoir choisi de se complaire dans la boue qui l'a vu naître et subit les évènements qui nous ici contés. On suit ainsi en tout et pour tout une bonne douzaine de personnages appartenant soit aux magisters, soit aux élites gouvernantes, et, très rarement, à titre ponctuel à vrai dire, au peuple. Il s'avère rapidement que les seconds ne sont que de simples marionnettes entre les mains des premiers. En effet, grâce à leurs pouvoirs magiques, les magisters, sous couvert de conseiller les rois, dirigent d'une main de fer des royaumes qu'ils élèvent ou brisent au gré de leurs envies. Pour autant, les magisters possèdent, comme tout un chacun, leur talon d'Achille : la source de leur pouvoir provient de l'énergie vitale d'un pauvre bougre. Toujours anonyme pour le magister, il s'épuise et se meurt de langueur au fur et à mesure que le magister y puise son énergie et « tire » sur ses pouvoirs. Mais voilà que le secret est bien prêt d'être révélé alors qu'un consort, comme on appelle ces piles énergétiques, se révèle être ni plus ni moins que le prince du Haut Royaume en personne.
Dans un monde où l'âme n'est guère plus qu'un combustible magique, les personnages principaux en ont à revendre. Intelligents, déterminés, non dépourvus d'une part de noirceur, ils brillent, pas forcément de manière glorieuse, dans cet univers autrement plus sombre et mature que celui de La Trilogie du magicien noir citée en quatrième de couverture. Des personnages qui sonnent vrai et dont le destin importe très vite au lecteur, quelque soit les raisons ou les motivations qui les poussent à agir de la sorte, en bien ou en mal, même si ces notions ne veulent pas dire ici grand chose.
On l'a dit, les intrigues ne Friedman ne sont pas toutes roses, tirant même allègrement vers le gris-noir. A l'instar de David Farland, son système de magie a des conséquences néfastes, pour ne pas dire funestes, sur le destin de nombre de protagonistes. Parallèlement aux différentes quêtes des personnages, une autre trame se dévoile, tout aussi sombre si ce n'est plus. Un mal ancien que l'on croyait disparu ressurgit. Des villages tout entier succombent. Une enquête commence... Les Magisters, ces êtres si individualistes, sauront-ils mettre de côté leurs différences pour s'unir contre cette terrible menace, rien n'est mois sûr.
Pour sa deuxième traduction en France, Friedman devrait légitimement se faire un nom dans les étalages de fantasy. Pourtant assez classique dans son déroulement, ce premier tome de La Trilogie des magisters envoûte son lecteur par son inhabituelle noirceur, ses personnages forts et la qualité de sa narration. On ne parlera pas de surprise, juste de confirmation. Après une telle fin, le tome deux devrait être encore meilleur !
— Zedd