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Il l'est ! Pour vous donnez une idée, quand on cherche un ouvrage traitant de Tolkien , on trouve essentiellement des ouvrages en anglais...non traduit depuis 1983 (pour celui que j'ai sur mon bureau), ce qui restreignait tant la recherche que la compréhension pour le lecteur francophone (quoi qu'on en dise, lire dans sa langue a des avantages, malgré tout l'intérêt de lire dans le texte).Au-delà de cet aspect "facile à trouver, facile à comprendre" (comprendre l'anglais ne sera pas superflu pour les citations, le choix ayant été fait de limiter les traductions à l'essentiel), les points de recherche sont particulièrement éclairants.Ainsi, sur la question tant rebattue des opinions "racistes, rétrogrades, conservatrices.." de Tolkien, parce qu'il aimait les contes nordiques (utilisés par la propagande nazie), que ses héros sont des grands blonds, et qu'il était catholique, le premier chapitre nous apprend ceci :*quand un éditeur allemand lui demandât de fournir une preuve d'aryanité, Tolkien a préparé une réponse dans son style de linguiste et que je citerai ainsi "je regrette de ne pas voir clairement ce que vous entendez par arish. Je ne suis pas d'extraction aryenne, c'est-à-dire indo-iranienne. Autant que je le sache, aucun de mes ancêtres n'a parlé l'hindustani, le persan, le tsigane ni aucune langue apparentée." (cette réponse ne fut pas envoyée, l'éditeur anglais préférant une approche plus diplomatique, mais le ton est donné...et pour ceux qui y verrait un trait d'humour, une recherche rapide m'a fait apparaître qu'"aryen" vient d'"arjun", une divinité blonde du Mahâbhârata, le plus long livre sacré d'Inde (plus long que le Ramayana dans sa version complète)).Ceci, couplé au "grief personnel" que Tolkien éprouvait pour les nazis qui ont utilisé la mythologie du Nord en outil de propagande mais en en détournant les valeurs : ou comment faire d'un conte un engin de mort, suffit à imaginer les sentiments de Tolkien vis-à-vis de la dictature fasciste.D'ailleurs, politiquement, comment se situe-t-il ? Il installe un roi unique régnant sur tous les Peuples d'Arnor et de Gondor, suzerain des autres régions : aspire-t-il à la dictature, au contrôle des peuples ? L'essai nous décrit comment il se définissait comme penchant "vers l'anarchie (au sens philosophique, signifiant abolition du contrôle et non pas moustachus avec des bombes)". La meilleure preuve de celà ? L'ordonnancement de la Comté : qui est le "dirigeant", quel est le modèle économique ? Un pays tranquille où chacun s'occupe de ses affaires, sans ingérence d'autrui, et partageant le goût de bien vivre entre tous.On notera d'ailleurs qu'Elessar ne fait pas montre d'impérialisme, se refusant à outrepasser son édit pour protéger la Comté.Voilà, le genre de choses que l'on (re)découvre, mais je ne vais pas tout dévoiler d'un coup ;)

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Foradan, as tu appris des choses que tu ignorais?? Ce livre apporte t-il un vrai plus ou n'a t-il que pour lui d'être en français et donc par ceci un peu inédit quand même...?

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Merci Foradan !Minsanthrope : les éditions du CNRS n'auraient pas publié ce livre s'il n'apportait "rien de nouveau", ne t'inquiète pas. L'introduction évoque d'ailleurs les livres en français qui ont précédé celui-ci (dont les deux miens) et montre bien la différence existant avec son propre projet.vincent

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Voilà un bouquin alléchant, que j'achèterai sans faute. D'autant plus que, d'après ce que j'ai pu lire ailleurs, Isabelle Pantin éclaire son analyse avec les résumés des œuvres dont Tolkien s'est explicitement réclamé. (A la différence des élucubrations d'une I. Smadja, par exemple…)Une question indiscrète à Vincent : Isabelle Pantin, dans ses cours et publications universitaires, semble être davantage une moderniste qu'une médiéviste. Connaîtrais-tu les raisons qui la poussent à s'intéresser à un auteur dont les références littéraires remontent au Moyen Âge ? (Et même au haut Moyen Âge, si l'on pense à Beowulf…)

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Sans devancer Vincent, je note aussi qu'Isabelle Pantin a déjà travaillé sur la cosmologie dans la littérature (les planètes, les étoiles..;), et qu'il faudrait avoir fait une lecture bien rapide du légendaire pour omettre que les elfes sont, sémantiquement, "le peuple de étoiles-Eldalië", et que chaque astre a son histoire et son importance dans le récit.Ainsi, chapitre 9, "les rares étoiles aperçues par les hobbits dans leur pèlerinage sans espoir sont comme l'appel d'un monde au-delà des troubles", de même que la comtemplation du "lointain" par Faramir ou Legolas : l'immensité qui repousse la limite visuelle est une bouffée d'air dans un environnement encerclé de ténèbres menaçantes.Oui j'ai "découvert" des choses, en ce sens qu 'un point de vue différent peut éclairer singulièrement un texte lu et connu.

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et encore, foradan prend des exs frappants, mais que l'on peut déjà connaître, puisqu'ils proviennent des Lettres de Tolkien. En revanche,Isabelle Pantin développe des arguments inédits et très convaincants, sur des questions que l'on croyait bien connaître voire "déjà traitées".pour répondre à sarmante : je vais bientôt mettre en ligne, sur modernitesmedievales.org, un texte d'I Pantin qui répond à ces questions - l'origine du livre,son intention, etc.amicalement,vincent(je ne comprends pas pourquoi mon texte apparaît en italique !)

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vincent a écrit :En revanche, Isabelle Pantin développe des arguments inédits et très convaincants, sur des questions que l'on croyait bienconnaître voire "déjà traitées".
J'ai commandé le bouquin ce matin. Je le lirai avec grand intérêt !
vincent a écrit :pour répondre à sarmante : je vais bientôt mettre en ligne, sur modernitesmedievales.org, un texte d'I Pantin qui répond à ces questions - l'origine du livre,son intention, etc.
Cela dépasse mes attentes ! Merci beaucoup ! :D

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Foradan,Merci pour cette critique claire et bien écrite et pour ce conseil de lecture, que je ne vais pas manquer de suivre ! Ce bouquin semble en effet passionnant, et tout ce qui se rapporte à Tolkien m'intéresse. Même si au bout du compte je préfère lire mon idole que lire sur mon idole ! Mais je n'en sais jamais assez...

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Avant d'aller lire le texte de cette dame, pour ceux qui comme moi ont juste un vocabulaire de base (même en français :) ) Aporie est-il au sens "difficulté logique" ou bien de façon plus philosophique "difficulté qui exige un changement de registre dans la recherche" ? Witch éternelle étudiante (qui a appris un mot aujourd'hui :D )

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Pour ce dont je me souviens, c'était le titre de l'intervention d'Isabelle Pantin au colloque de Rambures 2008 (très brièvement résumé ici )et je miserai, avant relecture, sur la définition philosophique.

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vincent a écrit :Voici le texte en ligne :Isabelle Pantin :« Tolkien et l'histoire littéraire : l'aporie du contexte »
Une communication absolument passionnante, qui soulève un débat finalement plus vaste que la seule étude de l'œuvre de Tolkien.Il y a plusieurs choses qui ont retenu mon attention. Isabelle Pantin dit quelque chose de très vrai quand elle note à propos de la Terre du Milieu :
De ce monde, presque tout semble donné d’emblée, si bien que l’on revient au texte pour rafraîchir l’impression originelle qu’il vous a donnée, non pour l’explorer par une voie différente.
Mais ce qui me chiffonne, c'est qu'elle ajoute :
Or, c’est une vérité première : la succession perpétuelle de lectures non répétitives est la seule chose qui maintienne en vie les œuvres littéraires.
Et elle en déduit que le caractère "répétitif" des lectures de Tolkien que fait son public "pour rafraîchir l'impression originelle qu'il vous a donnée" est un des indices de la fragilité de cette littérature. Et là, j'achoppe. Cette thèse est celle d'un critique qui se concentre sur la polysémie d'une œuvre : fort bien. Mais la littérature est loin de se limiter à la polysémie et au renouvellement interprétatif. Le caractère itératif plus qu'analytique ou exploratoire des relectures qu'on peut faire de l'œuvre de Tolkien est preuve, au contraire, de l'extraordinaire réussite - et vitalité - du texte : le texte fonctionne non comme une œuvre invitant à la réflexion, mais comme une œuvre rituelle, qui se prête à un retour au temps mythique, à "l'impression originelle qu'il vous a donnée". En ce sens, là où Isabelle Pantin voit de la fragilité littéraire, je verrais plutôt une grande force - certes fondée sur une pratique archaïque du texte.En revanche, je trouve vraiment passionnante l'analyse que fait Isabelle Pantin sur la réception critique de l'œuvre de Tolkien, et elle énonce une vérité fondamentale quand elle affirme :
En revanche, on ne « situe » jamais Tolkien en fonction de son style, ni de ses procédés de composition narrative, ni de son choix fondamental qui a été de prendre l’invention linguistique comme première matrice de l’invention littéraire, ni encore, alors qu’il a visé à constituer un monde, en fonction de ses modes de représentation de grandes catégories comme l’espace et le temps.
L'adverbe "jamais" est peut-être excessif (surtout pour l'invention des langues), mais elle a vraiment raison de souligner que ces champs d'étude sont peu défrichés ; en particulier l'analyse de la narration et du style - si l'on fait abstraction des passages poétiques, qui ont tendance à focaliser l'attention des commentateurs au détriment de la prose, peu étudiée.La problématique rappelée et précisée en conclusion est aussi très stimulante, même si finalement, elle pose une question bien plus vaste que celle de la situation de Tolkien dans l'histoire littéraire.C'est alléchant, en tout cas. Il y a de la substance ! Je ne regrette pas d'avoir commandé le bouquin !:D

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Je viens de terminer la lecture de Tolkien et ses légendes, et c'était en effet une lecture fort inspirante.Pour commencer par quelques (petites) réserves, je suis d'accord avec la remarque d'Anne Besson portant sur le caractère pas toujours très intelligible de l'organisation d'ensemble de l'essai. Fort heureusement, la conclusion, d'une grande clarté et d'une certaine hauteur de vue, permet de mieux comprendre, par exemple, pourquoi l'ouvrage se termine par une analyse approfondie de la cosmologie - organisation qui reste un peu surprenante, malgré tout. Dans un autre ordre d'idées, en lisant le chapitre IV qui porte sur l'approche des fictions de Tolkien par le prisme des textes critiques de Lewis, je me suis demandé si Tolkien aurait été d'accord avec une telle perspective sur son œuvre, les deux universitaires, malgré leur influence réciproque indéniable, ayant quand même eu des points de vue distincts et parfois opposés. (Ce qui n'enlève rien à l'intérêt que présente ce chapitre, par ailleurs.)Ceci dit, il reste que le livre d'Isabelle Pantin est d'un très grand intérêt. La contextualisation de l'œuvre de Tolkien dans son époque, les recherches effectuées sur les influences non seulement médiévales et antiques, mais aussi contemporaines, relèvent d'un travail investigatoire vraiment remarquable. Au fil du texte, Isabelle Pantin défriche certains secteurs peu explorés des études tolkieniennes, et avance un certain nombre d'observations ou d'hypothèses très éclairantes. J'ai par exemple trouvé très fin l'argument supplémentaire qu'elle a trouvé contre la thèse de Tolkien raciste, quand elle montre que les folkloristes dénoncés par Tolkien (Müller, Dasent) avaient préparé le "Nordic nonsense" nazi. Les éléments sur l'étude du style du SdA, son "réalisme poétique", confirment bien la qualité littéraire de l'œuvre. J'ai trouvé tout à fait passionnante l'analyse sur la rencontre entre tragédie et providence dans la Terre du Milieu, dont le syncrétisme débouche sur l'univers de la Féerie ; il en résulte par exemple une étude lumineuse d'Eowyn (que personnellement, j'ai toujours trouvée l'un des plus beaux personnages de la Terre du Milieu), en tant que personnage tragique qui se soustrait à la tragédie par son goût indomptable de la liberté, et qui dépasse les codes de la tradition parce que capable simultanément de désobéissance et d'amour filial.Vincent notait que l'ouvrage était facile à lire, et c'est vrai que le texte d'Isabelle Pantin est d'une très grande clarté et d'une certaine élégance. Reste, à mon avis, que le livre demeure adressé au grand public cultivé ou aux tolkiendili. Mais il vaut le détour, ne serait-ce que parce qu'il brosse un portrait de Tolkien beaucoup plus nuancé que ne le faisait la biographie d'Humphrey Carpenter. Là où Carpenter s'attarde souvent sur le désordre dans la créativité de Tolkien, Isabelle Pantin dégage plutôt les mécanismes d'inventeur d'un auteur qui découvre son œuvre autant (ou plus) qu'il ne la conçoit ; là où Carpenter nous montre l'écrivain en point de vue externe, sans parfois bien le comprendre (témoin les premières pages de la biographie), Isabelle pantin essaie d'explorer son intériorité créatrice. Du coup, on ressent toute la sympathie que l'essayiste éprouve pour son sujet. Et cette sympathie nous livre sans doute des clefs pour mieux appréhender Tolkien.