Merwin Tonnel a écrit :Ah, grande question, avec son lot de polémiques [...]Vu comme le sujet est assez large, n'hésitez pas à l'emmener où vous voulez
Je sais qu'on a quelques traducteurs sur le forum : des témoignages sur votre façon de travailler (qu'est-ce qu'il faut traduire, qu'est-ce qu'il ne faut pas traduire ?) sont les bienvenues. :sifflote:Et histoire de lancer le topic avec une question bateau : qu'est-ce qui, pour vous, fait une bonne ou une mauvaise traduction ? Pourquoi, quand vous lisez un roman en VF sans avoir lu la VO, vous avez envie de dire "Tiens, c'est bien/mal traduit ça" ?
Le sujet étant lancé, je me lance aussi, au risque de me viander, mais c'est la règle du jeu. :)On peut aborder la "question" par pas mal d'angles, il reste quelques notions générales qu'il faut peut-être poser dès le départ :Ici, j'imagine qu'on va parler de la traduction de
romans, donc du respect du texte de la VO (pour qui a lu la VO, évidemment), du style, du vocabulaire, de la fluidité du texte en VF.Si le texte en VO est une daube, difficile qu'en VF ce soit un bijou, sauf à trahir totalement le texte initial. A mon avis, on se dit que la trad est merdique quand, sans avoir lu la VO, on trouve le roman mal écrit en français. Qu'est-ce que c'est, "mal écrit" ? Là, on entre de plain-pied dans le subjectif, et autant se faire une raison, de toute façon on n'en sortira plus. C'est le "problème", qui renvoie à la "question" initiale, parce que chacun/e est juge.Donc, je vais être subjectif. -_-La très grande majorité des romans dont on parle sur ce site sont à l'origine écrits en langue anglaise (ou ses déclinaisons : américaine, australienne, etc.). Ce qui tombe bien pour moi, mon expérience se limitant à cette langue, pour ce qu'elle vaut (mon expérience, pas la langue).Déjà, pour l'appréciation de la VF, il faut prendre en compte le fait que le lecteur/la lectrice (que je vais appeler Lambda, pour ne pas répéter à chaque fois) réagira différemment si Lambda connaît ou non la langue anglaise. Une trad trop "collée" au texte anglais coulera mal, au risque parfois de faire du mot à mot ou des contresens, et du coup la VF sera lourdingue, voire incompréhensible. Lambda FA. (franco-anglophone) repérera ce genre d'erreurs en reconstituant inconsciemment la formulation d'origine. Lambda F. (uniquement francophone) trouvera simplement que le texte est mal foutu. Lambda F. pourra accuser la traduction, ou le texte d'origine, mais sans savoir s'il faut incriminer la VO, la VF, ou les deux. Lambda FA. soupçonnera la présence d'un testicule dans la soupe. :rolleyes:C'était pour le respect du texte de la VO.Pour le style de la VF, maintenant : tout dépend, évidemment. Avec un VO tartinée par un forçat de la plume qui n'a aucun style, difficile que la VF soit élégante. Oméga (le traducteur/la traductrice, même système que pour Lambda) doit faire avec certaines contraintes : le texte, bien sûr, mais aussi l'éditeur français. Si ce dernier lui dit "Arrangez à votre sauce, ce sera mieux, et n'hésitez pas à élaguer en cas de redondance", ça laisse à Oméga une certaine marge. C'était souvent le cas il y a encore une dizaine d'années, quand les éditeurs français achetaient les droits de romans qu'ils jugeaient, à tort ou à raison, trop longs. On demandait alors à Oméga de faire une VF plus courte que la VO de 10, voire 15%. D'où certaines rééditions avec la mention "Texte intégral". Il n'y a pas de mystère.Il y a aussi le cas où Oméga est lui-même un tâcheron, et là ce peut être le cas inverse : bon texte en VO, lourdinguerie en VF. Habituellement, quand même, les éditeurs ne gardent pas longtemps les Lambdas de cet acabit.Et puis il y a le problème du vocabulaire, plus ou moins recherché, ou même technique, et là l'éditeur a aussi son mot à dire. Le côté "note en bas de page" pour expliquer un terme casse le rythme de la lecture et peut donc nuire au plaisir de Lambda. Certains éditeurs préfèrent donc qu'Oméga traduise "simple". Certains auteurs autorisent même Oméga à recourir à une périphrase en VF, dans le même but. Il y a aussi l'écueil de la traduction des noms propres. L'exemple de Littlefinger a été traité dans un autre sujet, tout comme celui des titres de noblesse. Le fait est que, si Oméga se met à traduire un nom propre, pour la compréhension de Lambda F., Oméga devra faire de même avec tous les noms propres du bouquin, au nom de la cohérence. Et parfois, ça pose problème..On peut aussi parler du problème de retranscription d'un jeu de mots. Si c'est une pointe d'humour intraduisible, Oméga se débrouillera pour retranscrire cette atmosphère dans un autre passage. Si c'est une pointe d'humour récurrente et intraduisible, Oméga sera bien dans le caca.Je parle, je parle... Bon, OK, j'arrête, mais je termine par quelques citations éhontément pillées au bouquin du même nom, chez Robert Laffont, qui peuvent aussi alimenter le débat :
Une traduction est au mieux un écho. George BORROW
Les traductions sont comme les belles femmes : lorsqu'elles sont belles elles ne sont pas fidèles, et lorsqu'elles sont fidèles elle ne sont pas belles. (Edmond JALOUX, ça ne s'invente pas
)
... il n'est pas nécessaire d'entendre une langue pour la traduire, puisque l'on ne traduit que pour des gens qui ne l'entendent point. Denis DIDEROT, Les Bijoux indiscrets.
Une oeuvre de la langue traduite dans une autre langue : quelqu'un passe la frontière en y laissant sa peau, pour revêtir le costume local. Karl KRAUS, Aphorismes.Y'a de quoi faire !:rolleyes: