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Dans ce long - mais ô combien intéressant
- entretien, Alain Névant fait part à Elbakin.net
de sa propre expérience dans le monde éditorial de
la fantasy, en France, ainsi que de son parcours qui l'a mené
jusqu'à la création de Bragelonne,
où il assure aujourd'hui les fonctions de directeur éditorial
pour les auteurs étrangers, et de ses propres réflexions
sur le métier. Un éditeur visiblement ravi même
si la somme de travail à abattre est énorme.
1/ Commençons bien évidemment par quelques
questions pour mieux vous situer. En voici donc deux ou trois que
vous avez déjà dû entendre souvent. Tout d'abord,
le monde de l'édition, est-ce pour vous une destination atteinte
par hasard, ou bien une démarche longuement réfléchie
? Bref, quel a été votre parcours ?
J'espère que vous avez beaucoup d'espace
d'hébergement pour votre site, parce que mon parcours est
assez long. (rires) Mais déjà, pour commencer, je
peux dire que, oui, le hasard y est pour beaucoup. Moins depuis
quelques années, forcément. En résumé,
après des études de psycho, j'ai fait des études
d'anglais à Paris VII. Je me suis spécialisé
en littérature des pays anglophones. J'ai fait une maîtrise
sur Terry Pratchett à
une époque où il n'était pas encore traduit
en France (ce qui ne nous rajeunit pas). Un beau petit mémoire
irrévérencieux au possible de quelque 240 pages, qui
doit être boulotté par les rats de la bibliothèque
universitaire aujourd'hui. J'ai enchaîné sur un D.E.A.,
dont le sujet était la Humorous Fantasy (on ne change pas
une équipe qui gagne). Un petit détour sous les drapeaux
et je suis parti à Nantes, en thèse. Peu de temps
avant que je ne parte à l'armée, un ami de lycée,
Henri Loevenbruck,
est revenu d'Angleterre avec des idées par milliers. Il était
tombé amoureux de la culture "science-fictive"
et désespérait de trouver en France un magazine ou
une revue qui traiterait du sujet. Il me proposa de créer
un fanzine, histoire de
Ce fut en fait mon seul lien avec
le monde "réel" pendant mes douze mois d'armée
assez abrutissants. Il m'envoyait des livres, je les chroniquais.
Ce fut ainsi que naquit Ozone. La revue marchant de mieux en mieux,
nous décidâmes, alors enseignants tous les deux, de
monter une petite s.a.r.l. de presse et de lancer Science-Fiction
Magazine, toujours histoire de
. C'était encore une
revue distribuée en points de ventes spécialisés,
mais qui malgré nos faibles moyens de distributions touchait
plus de 2000 personnes. Pendant ma troisième année
de thèse, nous avons reçu une proposition du groupe
Flammarion Presse, qui nous offrait de lancer SFMag en kiosques.
Nous avons pris nos cliques et nos claques et avons signé
des deux mains, avec du sang, les yeux fermés. Le reste est
déjà de l'histoire ancienne. Mais ce furent cinq années
durant lesquelles je fus en contact avec le monde de l'édition,
de manière professionnelle et régulière.
2/ On sent à ces mots que d'une façon
ou d'une autre, vous n'auriez pas pu vous " contenter "
de l'enseignement.
C'est vrai
J'ai toujours eu la bougeotte.
J'ai toujours fait cent mille choses à la fois. Pendant mon
adolescence, j'ai fait du théâtre, de la musique, des
jeux de rôles. Et puis je traînais toujours en bande.
Il y avait cette dynamique de groupe incroyable, qui a pris toute
son ampleur à partir de la Seconde. Nous étions un
groupe de onze copains, qui s'étaient connus cette année-là,
parce que sur les mille et quelques élèves présents
dans la cour du lycée le jour de la rentrée, au moment
de l'appel et de la répartition des classe, seuls onze gus
n'étaient pas habillés "proprement" comme
les autres, mais arboraient fièrement des tee-shirts de Hard-Rock,
des jeans déchirés, des cheveux longs. Une sorte de
confrérie des mauvais mutants (rires). Pour survivre dans
cette jungle de "bonnes manières catholiques" il
a fallu que nous restions groupés et soudés comme
les dix doigts de la main et un orteil. On a même fait des
concerts dans notre école, ce qui nous a valu de passer au
Journal de 20:00 sur Antenne 2, comme ça s'appelait à
l'époque. Evidemment, le reste du temps, nous nous ennuyions
ferme en classe. Pas des mauvais élèves, non, même
si au grand désespoir de nos parents nous nous lancions parfois
dans des concours aussi stupides que "qui sera le dernier de
la classe ce mois-ci !". La lutte était serrée,
on ne se faisait pas de quartier. En fait, nous étions tous
des Calvin, tirés de la BD américaine Calvin &
Hobbes de Watterson. Le monde était trop petit pour nous,
il fallait qu'on en crée d'autres. Nous dépensions
une énergie considérable à concocter tous les
jours une "connerie" gigantesque à faire pour le
lendemain. Cela nous a valu pas mal de renvois, d'avertissements,
de conseils de disciplines et heures de colles. Mais c'était
la guerre. La guerre à l'ennui. C'est là aussi, je
pense, qu'est né mon désir de devenir enseignant.
Je me disais "Plus tard, je ferai en sorte que des gosses ne
vivent pas le même cauchemar que moi en classe." C'est
beau la naïveté, non ? Mais j'enseigne encore aujourd'hui,
pour des BAC + 5, et je fais mon possible pour qu'ils ne s'ennuient
pas pendant mes cours magistraux. A ce que ces fayots me disent,
ça marche. De l'université, j'ai gardé le goût
amer de la division et du protectionnisme. C'est de là que
me vient cette tendance au partage de la connaissance. Quand on
fait un troisième cycle, en France, vos "maîtres"
prennent bien soin de ne pas vous faciliter la tache, de vous tenir
à l'écart de l'information, de vous laisser trop souvent
dans votre "merde" et de vous reprocher ensuite de n'avoir
pas vu tel ou tel problème, car vous êtes un rival
potentiel. Si, si. Moi, je veux partager ce que j'aime (sauf ma
femme !).
3/ Bragelonne
représente-t-il un projet qui vous faisait rêver depuis
longtemps, ou bien est-ce que cela a été avant tout
une question d'opportunité à saisir sur le moment ?
Les deux. En fait, nous avions prévu, dans
le cadre de SFMag, de lancer une collection de romans intitulée
"SFMag présente". Nous en avions fait part à
Charles-Henri Flammarion et Jean-Christophe Delpierre, le DG du
groupe de presse, qui ont trouvé l'idée aguichante.
Après tout, nous étions en amont de toute l'information
littéraire, donc capables de jauger de ce qui pouvait fonctionner
ou non. Le but n'était pas de lancer une collection de nouveaux
auteurs, mais d'auteurs confirmés. SFMag se devait d'être
le représentant de la culture SF auprès du grand public,
et pas une revue spécialisée ou un fanzine. Flammarion
étant un éditeur de livres avant tout, et un distributeur,
la chose aurait été techniquement facile. Malheureusement,
pour différentes raisons, nous avons dû nous séparer
du magazine. Du même coup, exit la collection. Mais il faut
bien comprendre que nous avions déjà commencé
à travailler sur le projet, à nos moments perdus (entre
5:30 du matin et 6:12). Certains titres, qui sont aujourd'hui publiés
chez Bragelonne
ou qui le seront dans les années à venir, font partie
d'une liste qui repose au chaud dans un coin de mon cerveau. C'est
d'ailleurs lors d'un bouclage du magazine (4 heures du matin, 34e
étage de la tour Montparnasse) que le nom de David
Gemmell est sorti pour la première fois. Nous faisions
la "nuit des titres", sorte de récréation
finale où nous essayions de trouver les jeux de mots les
plus foireux possibles pour faire les gros titres du magazine, lorsque
Stéphane Marsan (qui nous
faisait le café par amitié en guise de soutien moral)
nous avoua qu'il comptait se lancer dans la traduction de titres
pour sa collection. Il me demanda si j'avais une idée sous
le coude pour débuter. Dans l'optique de sa collection, je
lui proposais Le Lion de Macédoine, sachant pertinemment
que je ferais Légende
dans la collection "SFMag présente" si elle voyait
le jour. Le Lion était plus en accord avec le genre
de textes qu'il publiait alors. Lorsque nous avons arrêté
le magazine, j'ai aussitôt pensé me lancer dans l'édition
; je déteste ne pas mener à bien mes idées.
J'ai donc commencé à travailler sur le projet d'une
maison d'édition qui ne ferait que des anglo-saxons, et qui
se spécialiserait dans la littérature d'aventure,
la Fantasy, la SF, etc. Peu de temps après, Stéphane
nous annonce qu'il ne fait plus partie des éditions Mnémos.
Je lui ai aussitôt proposé de venir créer une
collection française, et de s'investir dans la boîte
que j'allais monter avec tous mes amis et collègues d'SFMag.
C'est ainsi que sont nées les Editions Bragelonne.
4/ En tous les cas, vous devez avoir confiance
en la santé de la Fantasy pour vous lancer dans l'édition.
Qu'est-ce qui vous attire le plus dans ce genre ?
Confiance en la santé de la Fantasy ? Sans
être gérontophile, c'est le plus vieux genre littéraire
du monde. Donc, oui, j'avais confiance. D'autant plus qu'en dix
ans de faculté j'avais eu le temps d'en voir les tenants
et les aboutissants, tant au niveau théorique que pratique.
De plus, mon expérience en tant que journaliste m'avait permis
de me familiariser avec l'univers éditorial du genre et de
rencontrer les auteurs. Je crois qu'il n'est jamais bon de se lancer
dans quelque chose qu'on ne maîtrise pas, quand on veut en
vivre. Et jusqu'à un certain point, la Fantasy, je maîtrise
! (sourire) Il faut savoir aussi que les littératures de
genre ont un avantage sur les autres. Elles ont un lectorat fidèle
et passionné, qui soutient ce genre d'entreprises. Un premier
livre (de genre) par un nouvel auteur vendra plus, en moyenne, qu'un
livre d'un nouvel auteur en littérature générale.
En revanche, question best-sellers, ce n'est pas dans la littérature
de genre qu'il faut en chercher, sauf s'ils sont vendus comme de
la littérature générale (oui, il y a des exceptions,
comme Le Seigneur des
Anneaux ou Dune
mais ils ne sont pas nombreux).
C'est un des paradoxes des genres que nous affectionnons. Mais pour
revenir à mon rapport à la Fantasy, je dirais que
c'est à mon sens la littérature qui a marqué
la fin du siècle dernier. Tant au niveau des ventes qu'au
niveau des textes. Nous devons cela à Tolkien,
bien sûr, mais aussi à la Guerre des Etoiles,
au jeu de rôles, au jeu vidéo
La Fantasy est
pour moi aujourd'hui la dernière des littératures
d'aventures. Je veux dire la vraie Aventure, celle qu'on éprouvait
enfant, lorsque l'univers nous pénétrait sans qu'on
le remarque. Bref, ce qui m'attire dans ce genre, c'est la possibilité
d'y revivre des émotions brutes, non motivées... l'impression
d'être en vie et d'en jouir.
5/ Il existe également des univers de
Fantasy plus intimistes, plus déroutants que les classiques
auxquels on pense en vous écoutant. Je songeais au Wonderful
de David Calvo.
Là, tout le mérite en revient à
Stéphane. Wonderful est son choix. Lui et David ont
travaillé sur ce roman pendant près de trois ans.
Je crois que le jeu en valait la chandelle. Evidemment, Wonderful
est un ouvrage risqué. Mais on y croyait
on voulait
y croire, et l'accueil de la critique a récompensé
ce risque. Il y aura d'autres romans de David chez Bragelonne,
et d'autres romans décalés de ce genre, même
des traductions. Mais la publication de tels romans ne peut se faire
que si nous publions avant des classiques, afin de nous donner une
assise pour prendre le risque. Là, ce n'est pas un choix,
c'est une obligation.
6/ En quoi Bragelonne
se différencie de la concurrence à vos yeux ? Est-ce
quelque chose qui vous importe ?
Non, je ne raisonne pas en terme de concurrence.
Je raisonne en terme de "plaisir" et de "partage".
J'aime un texte et je veux le faire découvrir à un
maximum de personnes. C'est déjà ce qui m'avait poussé
à faire ma maîtrise sur Pratchett.
Je ne me soucie pas trop de ce que font les autres. Je suis toujours
content de voir un titre sortir ailleurs. Cela ne peut que servir
le genre
et c'est important. C'est également l'objectif
de Stéphane Marsan. Etre
au service du texte, et pas l'inverse. Le marché est encore
suffisamment vaste pour qu'on ne se marche pas sur les pieds les
uns et les autres.
7/ Large comme vous dîtes, mais pas aussi
vendeur qu'il le " mériterait ".
J'ai dit 'vaste' (rires). Le mot "mériterait"
me dérange un peu. Un genre ne mérite pas. Un genre
se crée des lecteurs. Un genre gagne ! Il n'y a pas si longtemps,
Ayerdhal me reprochait de vouloir positionner la Fantasy au-dessus
des autres genres littéraires et soutenait que le marché
était dominé par cette tendance, par un matraquage
commercial. " On ne trouve plus que de la Fantasy sur les rayons
! C'est un dictat éditorial. "
Je ne suis toujours pas d'accord avec cette analyse. Certes on trouve
beaucoup plus de Fantasy que de SF dans les librairies. C'est parce
que cela se vend mieux. Mais si cela se vend mieux, ce n'est pas
à cause du matraquage, c'est parce qu'il y a actuellement
un public plus grand pour ce genre que pour la SF. Mais ça
changera. C'est la fin de siècle qui veut ça. La situation
politique actuelle du monde est telle, que la science-fiction pourrait
bien reprendre du poil de la bête. Il y a aujourd'hui, suite
aux terribles évènements du mois de septembre, un
matériau narratif que tout auteur de SF qui se respecte ne
manquera pas d'utiliser. L'Anticipation et la "Speculative
Fiction" ont de beaux jours devant elles. Mais pour revenir
à la question et à l'affirmation d'Ayerdhal, l'envol
de la Fantasy en France est très récent. La génération
Marsan, c'est 1995. Les grands
directeurs de collection, à l'exception de Jacques Goimard,
chez Pocket, détestaient la Fantasy. Et ce sont eux qui dirigeaient
le marché. Aujourd'hui le marché les a vaincus. C'est
une petite révolution amusante. Mais Jacques Sadoul, en créant
J'ai lu, n'a jamais fait la part belle à la Fantasy. Il aimait
bien Conan
voilà. Gérard
Klein, chez Robert Laffont et au Livre de Poche déteste ce
genre. Il fait même partie des gens qui en 77 ont loupé
le coche Star Wars en prétextant ouvertement que le
film de Lucas détruisait tout ce pourquoi ils s'étaient
battus à ce jour. Il y a eu de la part de ces directeurs
une volonté manifeste de ne pas publier de Fantasy. Pareil
au Fleuve Noir ou chez Denoël. Le matraquage vient de chez
eux ! Si aujourd'hui il y a tellement de textes de Fantasy dans
les rayons, c'est également parce que ces textes n'ont pas
été publiés chez nous à l'époque
de leur sortie dans les pays anglo-saxons. Vous vous rendez compte
que Pratchett a été
refusé pendant dix ans en France avant que l'Atalante n'accepte
timidement de le faire. Légende
de Gemmell a été
publié en Angleterre en 1984 ! Si la Fantasy ne marchait
pas aujourd'hui, croyez vous que Bûchet-Chastel se lancerait
dans la publication de Stephen Lawhead,
ou que Pygmalion publierait George
Martin et Robin Hobb ? Bien sûr,
il n'y a pas le mot Fantasy sur les couvertures, car comme le mot
science-fiction, le mot Fantasy fait peur au grand public... ou
aux éditeurs. Mais le lectorat dit "captif", à
savoir nous, n'est pas dupe. Nous savons trouver ce qui nous plait
et ce qui entre dans notre définition personnelle de la Fantasy.
De même, lorsque Doug Headline, chez Rivages, place un roman
dans sa collection Fantasy alors que l'ouvrage est clairement autre
chose, c'est parce qu'il espère conquérir un public
plus large. Je ne vois rien de mal à cela. L'important est
de faire lire
La Fantasy n'est pas à mes yeux le meilleur
genre qui soit. Ce n'est pas comme ça qu'il faut raisonner.
Il faut raisonner en terme de livre. Soit le livre est bon, soit
il ne l'est pas. Que cela soit du polar, de la littérature
générale, de l'horreur ou un guide pratique. J'ai
trop bouffé de Blake, de Keats ou de Byron pour dire que
Jordan c'est mieux (rires). La
Fantasy a actuellement un lectorat qu'elle s'est battue pour avoir.
C'est un lectorat qui peut encore grandir et gagner sur celui plus
généraliste, et qui le fera certainement si les espoirs
que nous avons mis dans le film
Le Seigneur des Anneaux
se concrétisent. Amen !
8/ Et pour en revenir à Bragelonne
Désolé, quand je suis lancé
Si je devais citer une particularité de Bragelonne,
je dirais "la joie". Nous faisons tout dans la bonne humeur,
même quand c'est la panique. C'est également lié
au fait que nous sommes tous des amis et que nous ne concevons pas
le travail autrement que dans la crise de rire et l'exubérance.
Faire sérieusement des choses, sans se prendre au sérieux,
c'était déjà notre devise à SFMag (bonjour
aux fans de Sex, Pizza & Vidéo). L'important, bien sûr,
quand comme nous on a la tête dans les étoiles, c'est
d'avoir les pieds bien sur Terre. Ce qui m'importe c'est de fournir
au lecteur un bel objet et un bon texte. Tous nos romans ne s'adressent
pas forcément aux mêmes lecteurs. Un lecteur ne peut
pas tout aimer. Et il y a bien des types de Fantasy. Mais chaque
texte a un public que nous essayons de contenter, de surprendre
aussi. La concurrence, je laisse ça aux directeurs marketing
et chez Bragelonne
on n'en a pas encore. On en reparlera à ce moment-là.
9/ Etes-vous content de ce que vous avez réalisé
pour le moment avec cette maison d'édition ?
Je suis un éternel insatisfait, tous ceux
qui me connaissent peuvent témoigner de mes travers : perpétuel
angoissé, pessimiste (ou réaliste, ça dépend
d'où on se place), perfectionniste - le mec invivable ! Et
pourtant, s'il est trop tôt pour crier victoire (si jamais
il est besoin de crier victoire), nous ne sommes pas mécontents
du tout de ce que nous avons réussi à faire avec nos
petits bras. Bragelonne
entre dans sa deuxième année de publication. Nous
avons déjà sorti 17 titres. Nous allons publier des
incontournables et des textes plus ambitieux; Stéphane travaille
à fond sur les auteurs français, mais cela prend beaucoup
plus de temps que pour les traductions, malheureusement, ce qui
nous poussera à sortira davantage de titres étrangers
dans le futur. Rien que durant l'année 2002, nous allons
publier 20 nouveaux romans. Une paille
Donc, oui, je suis
content, mais ce n'est qu'un début. Nous continuons d'apprendre
notre métier tous les jours, et ça c'est formidable.
Il n'y a rien de plus motivant que le sentiment de progresser.
10/ Ah, ah, et à quoi faut-il s'attendre
? Pouvez-vous déjà nous en dire un peu plus sur la
ligne éditoriale des prochains mois ?
La ligne éditoriale de l'année 2002
va ressembler à peu de choses près à celle
de l'année prédédente. Sauf qu'il y aura plus
de titres et que nous allons nous ouvrir à la SF. Trèèèès
doucement. Et toujours dans une optique d'aventures et d'univers.
Je ne peux pas tout vous dire, ça serait trop long, mais
je vais essayer de vous parler d'une bonne partie de ce que nous
allons faire. Déjà, en Janvier, nous publions Faux
Rêveur, une anthologie assez particulière, puisqu'elle
regroupe huit novellas (des petits romans de la taille d'un Librio,
environ). Il y a dedans cinq textes SF et trois textes de fantastique.
Les auteurs ne sont pas des moindres, puisque ce sont les maîtres
actuels du genre en Grande-Bretagne : Paul McAuley, Kim Newman,
Stephen Baxter, Peter Hamilton, Michael Marshall Smith, Graham Joyce,
etc. Autre texte SF, en Mai. La réédition d'un roman
de Marshall Smith passé inaperçu lors de sa sortie
en poche chez Pocket : Avance Rapide. C'est un roman hallucinant
et halluciné. Un coup de cur. Un risque... En septembre,
nous lancerons un space opera de Anne
McCaffrey et Elizabeth Moon, intitulé Sassinak ; une
histoire de pirates dans l'espace. De l'action, du rythme et une
écriture, bref un régal. En Février nous débutons
une nouvelle série de David
Gemmell, avec L'Homme
de Jérusalem. C'est un roman post-apocalyptique,
proche d'un western - ce qui ne déroutera pas les fans. Le
héros se nomme Jon Shannow, et c'est le personnage préféré
de Gemmell. Époustouflant.
En Août, nous vous ferons découvrir Les Chroniques
des Raven, une trilogie anglaise de High Fantasy pur porc de
James Barclay (la série préférée de
Stéphane à ce jour). C'est le nouveau best-seller
du genre en Angleterre, et franchement, vous allez vite comprendre
pourquoi. Nous avons récupéré les droits de
Terry Brooks et pour les fêtes
de fin d'année, vous aurez droit à la saga Shannara,
avec une nouvelle traduction. La première trilogie seulement
avait été publiée en France, mais nous, nous
allons publier l'intégralité, et il y a 11 romans.
Shannara est tout simplement
l'une des séries les plus célèbres depuis 1977
aux USA. Autre moment important, Gemmell
encore, Les Premières Chroniques de Druss la Légende,
qui racontent comment Druss a obtenu son titre de Légende
; sa genèse. Comment faire sans ? Et puis, bien sûr,
il y aura la suite des séries en cours. Tous nos français,
des nouveaux chez nous, comme Magali
Ségura, et la suite d'A
vos Souhaits de Fabrice Colin,
intitulé A vos Amours ; plus plein d'autres petites
choses que vous découvrirez en temps utile. Tout ce que je
peux vous dire, c'est que 2003 sera encore mieux
Je le sais,
j'ai déjà le programme !
11/ Pour accomplir tout cela, à quoi ressemble
une journée-type à bord ? Bien évidemment,
on imagine que vos collaborateurs et vous-même n'avez pas
d'horaires fixes...
Quand on travaille dans la presse ou dans l'édition,
il est clair que l'on doit vite faire certains choix de vie. Etant
donné que nous sommes trois en internes (Barbara, Stéphane
et moi) il y a plus de travail que de personnel. Par conséquent,
les 35 heures, ça devient vite le minimum quotidien (rires).
Néanmoins, à la différence de SFMag, j'ai quasiment
tous mes week-ends. J'ai même réussi à prendre
2 semaines de vacances en septembre. Cela faisait 7 ans que je n'en
avais pas pris. J'ai mis du temps à réaliser
Enfin, bon. Nous essayons le plus possible de nous répartir
les tâches, en fonction de nos spécificités,
mais il arrive fréquemment que nous touchions à tout.
Pour travailler dans une petite structure, il faut être polyvalent.
Ce qui nous prend le plus de temps, finalement, ce sont les rendez-vous.
Nous sommes toujours, Stéphane ou moi, à droite et
à gauche, en France et ailleurs. La représentation
est l'une des clés de l'édition. Rester au contact
des lecteurs, des libraires, également. Je parle bien sûr
pour une structure comme la notre. Bref, la journée type
n'existe pas. Mais on en rêve
parfois.
12/ Ce côté " démarcheur
" n'est-il pas parfois désagréable pour vous
? Je comprends que c'est quelque chose de nécessaire pour
se faire connaître et qu'il faut être prêt à
tout pour percer, mais
Est-ce dans certains cas, vous aimeriez
pouvoir vous en passer ?
Oui et non. Nous ne démarchons pas réellement.
Nous communiquons. Ce n'est pas comme si on venait faire du porte
à porte avec a) des encyclopédies, b) des aspirateurs,
c) des produits minceurs [rayez les mentions inutiles]. Nous n'avons
pas besoin de percer. Nous avons un distributeur et c'est son métier
; il nous représente mieux que nous ne saurions le faire.
Nous sommes présents, ou pouvons l'être à la
demande du libraire, dans toutes les librairies de France, de Belgique
et de Suisse. Le travail que nous faisons est un travail de représentation
et cela fait partie intégrante du travail d'éditeur
: rencontrer les "concurrents" et amis, les auteurs, les
journalistes, etc. Echanger des idées, des points de vue.
Cela fait partie d'un travail de réflexion et d'échange
qui est lié à la dynamique de l'édition. Si
on ne bouge pas, on s'encrasse. Or, nous avons envie de progresser.
Cela prend beaucoup de temps, mais ce n'est jamais inutile. C'est
même souvent agréable
Et Stéphane a déjà
pris 5 kilos à force de "repas d'affaires". Moi
ça va. C'est encore une fois un problème d'ubiquité.
Pendant qu'on fait cela, on ne peut pas faire autre chose. Ca c'est
un des inconvénients d'une petite structure. On ne peut pas
avoir que des avantages...
13/ Au quotidien justement, qu'est-ce qui peut s'avérer
le plus pénible à gérer ?
Stéphane !... Non, c'est un plaisir de bosser
avec lui. Il est d'une rigueur effrayante (et moi qui pensais être
un chieur ?!). Le plus pénible sont les imprévus et
l'intendance (y a plus de filtres pour le café !!!). Toute
la gestion de la société, tout ce qui n'est pas le
livre et sa production au bout du compte. Or, c'est un passage obligatoire.
De plus, étant donné que la gestion d'une société
n'est pas ce pourquoi nous avons été formés
(Barbara a fait de l'édition, Stéphane de la philo
et moi de la littérature anglaise), il est évident
que nous perdons un temps fou, parce que nous manquons encore d'automatismes.
Nous avons recours à des externes pour beaucoup de choses
: David Oghia pour la direction artistique, Webby s'occupe de notre
site, plusieurs correcteurs et -trices, une comptable, etc. Mais,
la période la plus dure, en fait, c'est le bouclage. Le moment
où nous travaillons la sortie d'un ou deux livres, car ce
travail de production se rajoute au reste. La boîte ne peut
pas s'arrêter de tourner pour autant. Et c'est là que
nous perdons nos week-ends. L'autre point, qui a son importance,
c'est la lecture de manuscrits (français ou étrangers).
Cela demande du temps, et du calme. Ces deux conditions ne sont
que rarement réunies chez Bragelonne.
Par conséquent, nous essayons de ramener un maximum de devoirs
à la maison (rires). Un grand directeur de collection d'un
grand groupe, que je ne citerai pas, nous a avoués un jour
qu'il ne travaillait pas à son bureau, il n'avait jamais
le temps, trop de choses à faire. Pour faire du bon boulot
dans l'édition, il faut s'enfermer chez soi, nous a-t-il
dit. Et aujourd'hui, je ne suis pas loin de le croire.
14/ Vous vous occupez plus particulièrement
des publications étrangères de Bragelonne.
Pouvez-vous nous raconter de quelle façon vous faites vos
choix, comment se déroulent les prises de contacts avec les
auteurs concernés ?
La première chose c'est de lire énormément.
Un jour, un livre. Ces livres, je les reçois d'agents littéraires
ou je vais les chercher, sur mes étagères, dans des
librairies ou dans un recoin de ma tête. Parfois, cela relève
du boulot de détective. Vous avez lu une critique qui vous
interpelle dans la presse étrangère. Un ami vous a
dit que
etc. Choisir un livre, c'est s'engager sur un texte,
être sûr qu'il va avoir un public. Choisir des textes
parce qu'ils vous plaisent est une chose, mais lorsqu'on a une entreprise,
il faut parfois mettre ses goûts dans sa poche et penser en
termes de rentabilité. Et je ne parle pas que du succès
commercial du bouquin, car celui-ci a aussi un coût : l'achat
des droits, la traduction, la fabrication ; il faut tenir compte
de ces éléments. Il y a des livres que je ne peux
pas faire, parce que dans ma structure ils ne seraient pas rentables.
L'ambition littéraire, c'est bien. Je suis prof de lettres,
je sais. Mais si c'est pour mettre la clé sous la porte,
c'est une ambition qui n'aura pas servi à grand-chose. Les
lecteurs oublient souvent ce détail, mais l'éditeur
n'est pas un mécène. Il doit vivre et doit faire vivre
ses auteurs. Maintenant, cela ne l'empêche pas, lorsqu'il
peut se le permettre, de se lancer dans des ouvrages plus personnels,
plus risqués, d'un point de vue commercial. Tout est une
question de dosage. Evidemment, je ne publierai pas de livres qui
ne me plaisent pas. Mais parfois, il faut savoir écouter
les autres. Il n'existe pas de lecteur type. Un éditeur ou
directeur de collection n'a pas la science infuse, il n'a qu'une
idée de sa ligne éditoriale. Par conséquent,
nous faisons appel à des "lecteurs". Ce sont des
gens triés sur le volet, et dont nous connaissons les goûts,
qui lisent les livres qui nous intéressent et nous font des
rapports de lecture ensuite. En fonction de leurs opinions, et de
la mienne pour finir, je fais des choix. Je soumets ensuite ces
choix à Stéphane. C'est à dire que je lui vends
le projet. Si je l'ai convaincu, et qu'il a envie de lire le livre,
lui aussi, alors nous le prenons. Il fait la même chose avec
moi, pour ses auteurs français. Ainsi, nous arrivons finalement
à être d'accord sur ce que nous publions. Nous nous
faisons entièrement confiance. Les livres que je choisis
doivent avant tout me procurer un plaisir de lecture, ils doivent
également répondre à l'obligation d'aventure.
Le plaisir, c'est un ton, une nouveauté, un rythme, un univers,
une histoire, des personnages. Une série d'éléments
qui font que j'ai envie de recommander ce livre à mes amis.
Et donc, à mes lecteurs. Lorsque nous achetons des droits
étrangers, il est rare que nous soyons en contact avec les
auteurs. La plupart du temps c'est avec leurs agents que nous traitons.
Nous faisons une offre, qu'ils communiquent à l'auteur, et
ensuite
c'est oui ou c'est non.
15/ N'y a-t-il pas de risque de se tromper en étant
obligé de tenir un rythme aussi rapide ?
Il y a toujours un risque. Nous essayons de le calculer
en limitant dès le début les "dégâts".
On ne peut pas tenter un Wonderful par mois. Dans ce cas
précis, cela a fonctionné, mais tout le monde n'est
pas David Calvo (et heureusement, il n'y en a qu'un et c'est nous
qui l'avons !). On peut toujours se tromper. Des choses qui semblaient
devoir cartonner se vautrent sans qu'on comprenne pourquoi, etc.
Cela ne nous est pas encore arrivé, mais ça viendra,
forcément. Aussi nous restons prudents, d'autant plus que
nous n'en sommes qu'à notre première année
d'existence. Un éditeur ne peut pas publier QUE des bons
romans. Ce n'est mathématiquement pas possible. Nous n'en
sommes qu'au début, donc il y a moins de risques, mais avec
le temps et l'augmentation du rythme de publication, il est clair
que certains choix seront limites. C'est un moment que nous craignons,
mais il fait partie du processus normal : grandir. Encore une fois,
le succès de certains titres va nous permettre de tenter
des choses plus risquées commercialement parlant, plus ambitieuses
aussi. Mais c'est, à notre humble avis, notre rôle
d'éditeur que de publier des textes que nous estimons originaux.
16/ Vous arrivez encore à lire pour le plaisir
justement, sans " parasites ", sans vous dire que "
Tiens, celui-ci, je le prendrais bien chez moi ", ce genre
de réflexes
Oui, heureusement. En revanche, il m'est difficile
de ne pas lire un livre sans le disséquer techniquement parlant.
Je réfléchis toujours à ce que j'ai lu, j'essaie
de voir les schémas thématiques, je rumine. C'est
ma formation de prof de lettres qui veut ça. Il m'arrive
aussi souvent de "relire" des textes, et là, c'est
entièrement par plaisir. Tous les ans je relis Le Fantôme
de l'Opéra, Le Comte de Monte Cristo et l'intégrale
de Dune. Je les "prendrais bien chez moi", mais
quelqu'un m'a devancé ! (sourire)
17/ Quelle est selon vous la qualité primordiale
à posséder dans ce milieu ? La patience ?
La patience, il en faut. Il en faut parce que le
livre est un média qui ne peut pas se rentabiliser de façon
immédiate. L'édition, c'est un jeu de Lego "!.
On rajoute une pièce après l'autre. Ça s'emboîte.
Ça prend forme. Ça prend du temps. Un catalogue, c'est
la même chose. Ça se construit. Je n'ai de leçons
à donner à personne, car, encore une fois, nous sommes
ici dans le cas d'une petite structure, qui a donc moins de charges
qu'une grosse compagnie, mais le livre, c'est du long terme, pas
du moyen, ni du court. Certains livres ne trouvent leur public que
tardivement. Il n'y a pas de règle absolue. Je crois qu'une
des autres qualités à posséder, c'est le recul.
Nous sommes très enthousiastes, et donc il est nécessaire
de pondérer cet enthousiasme. Nous prendrons des risques,
toujours, mais de manière calculée. Je crois également
qu'une autre qualité, c'est l'amour de son travail. Si on
n'aime pas les livres, si on n'aime pas la littérature, où
si on n'y connaît rien, on raisonne alors en terme de "produit"
et plus en terme littéraire. Ça a l'air évident,
dit comme ça, mais il y a un nombre incroyable d'éditeurs
qui sortent d'écoles de commerce ou de branches sans rapport
avec la littérature. Ils ont un bagage théorique du
marché. C'est très bien. Malheureusement, il n'y a
pas de recette magique dans le livre, et souvent on s'aperçoit
que des aberrations sont commises au nom de certains théorèmes.
On ne peut pas vendre un livre comme on vend des tapis, des serviettes
ou des petits pois. Chaque livre est différent et nécessite
une approche différente. C'est là où les petites
structures ont un avantage.
18/ Et jusqu'où pouvez-vous pousser celui-ci
? Est-ce que l'argent ne finit pas toujours par être l'avantage
primordial ? On compense par la vitesse à dénicher
un auteur ?
L'argent apporte avant tout la sécurité.
C'est un souci en moins. C'est offrir une plus grande marge de manuvre.
C'est acheter selon son envie, sur un coup de tête. C'est
acheter sur catalogue et plus sur lecture. Et c'est donc aussi ne
pas se remettre en question. Le manque d'argent nous oblige effectivement
à être plus rapides et à sacrifier quelques-unes
de nos volontés. Mais vouloir posséder de l'argent,
c'est exiger plus encore de soi. Je crois qu'il faut arriver à
trouver un compromis. A l'heure actuelle, Bragelonne
va bien et devrait aller encore mieux dans un futur proche. L'argent
en découlera naturellement. Mais ce n'est pas un but en soi.
C'est bien, ça nous permet de payer tout le monde correctement.
Mais si on avait voulu faire de l'édition pour de l'argent;
on aurait fait du cul !
19/ Comment gérez-vous la promotion de vos
uvres & auteurs ? La participation de ceux-ci dépend-elle
de la nature de tel ou tel salon ?
En fait, la promotion la plus importante pour nous,
c'est celle qu'on ne maîtrise pas : le bouche à oreille.
Il y a donc un facteur chance important lié à l'avenir
d'un livre. Sinon, nous faisons comme les autres, nous envoyons
des livres aux journalistes et aux critiques, nous informons les
libraires de nos sorties (avec une newsletter qui ressemble un peu
à celle que reçoivent les membres du Club Bragelonne).
Parfois nous passons une publicité dans la presse spécialisée.
Nous pouvons également organiser des concours (nous l'avions
fait sur la 5e). Nous essayons au maximum de rester disponibles
et ouverts, pour participer à des émissions ou des
interviews. Les auteurs Bragelonne
jouent également le jeu et acceptent la plupart du temps
de participer à des séances de dédicaces. Le
plus dur étant pour eux de concilier ce genre d'activité
avec leurs vies personnelles. La plupart de nos auteurs ont une
famille ou un travail à côté
ils ne vivent
pas encore de leurs romans ; mais ça viendra !
20/ Je rebondis là-dessus, ça m'interpelle.
On entend souvent dire que seule une poignée d'auteurs peuvent
espérer vivre de l'édition en France. Vous croyez
sincèrement changer la donne pour vos auteurs, en supposant
que tout se déroule comme vous l'avez prévu ?
Encore une fois, nous sommes dans une littérature
de genre. Beaucoup d'appelés, très peu d'élus.
Comme dans tous les "genres", il y a une place proportionnelle
à la taille du "genre" pour des auteurs qui en
vivront. Dans le cadre de la Fantasy, en France, à l'heure
actuelle, la place est quasiment inexistante. Attention, je parle
d'auteurs qui ne vivent exclusivement que de leurs romans, pas de
ceux qui ont un métier à côté, ou à
temps partiel. Notre but est effectivement de faire évoluer
la donne. Mais cela risque d'être très, très
long. Beaucoup de paramètres sont en jeu. Et même une
fois que tous ces paramètres seront correctement alignés,
je ne crois pas qu'il y ait de place pour plus d'une ou deux personnes.
On aimerait bien, comment vous pouvez vous en douter, que cela soit
des auteurs de chez nous. C'est dur à dire, mais un marché
littéraire ne se crée pas en 5 ou 10 ans. En revanche,
en travaillant chez plusieurs éditeurs en même temps,
cela devient possible. Hélas, nous sommes loin du marché
américain, où un roman de Fantasy par an peut permettre
à une douzaine d'auteurs du genre de vivre tranquillement.
Tant qu'en France, un auteur sera obligé de produire cinq
fois plus pour des ventes inférieures au final, on ne pourra
pas améliorer ses conditions de travail, et, de fait, la
qualité de ses romans. Petit à petit, l'oiseau fait
son nid
21/ Et vous disiez
Beaucoup de choses
Bref, nous mettons beaucoup
de bonne volonté à être le plus souvent possible
de l'autre côté du miroir, avec les lecteurs. Ce sont
eux qui nous font vivre. Il y a une sorte de devoir de notre part,
et de la part des auteurs, d'être à l'écoute.
C'est également pour ça que nous répondons
le plus rapidement possible aux gens qui nous écrivent. Le
courrier est énorme, les e-mails font exploser nos boîtes
aux lettres. Mais si quelqu'un a pris le temps de nous écrire,
la moindre des choses est de lui répondre. Il nous arrive
souvent d'aider des étudiants dans leur mémoire et
leurs recherches (Stéphane et moi sommes d'anciens enseignants,
ça aide
). En fait, nous avons une image plus que toute
chose. Mais nous ne travaillons pas cette image, elle est le reflet
de ce que nous sommes. Il n'y a pas de plan marketing derrière,
seulement notre joie de communiquer sur quelque chose que nous aimons.
Une autre qualité qui serait nécessaire, mais que
nous n'avons pas encore, ce serait le don d'ubiquité. On
y travaille !!! Car, comme vous vous en doutez, nous ne pouvons
pas être partout à la fois, ni participer à
tous les salons.
22/ D'ailleurs, comment vous positionnez-vous par
rapport à ceux-ci ?
L'avantage, déjà, c'est que nous sommes
deux (Stéphane et moi), et que nous connaissons suffisamment
le travail de l'autre pour pouvoir permuter le temps d'un salon.
Il est clair que nous sélectionnons les salons et les festivals
en fonction de leur spécificité, mais aussi de leur
importance. Il nous est difficile d'investir du temps, et de l'argent,
dans un salon qui ne nous amènera pas de visibilité
supérieure à celle que nous possédons déjà.
Si Bragelonne
participe à une convention de SF ou de Fantasy, c'est parce
que nous y voyons un avantage. Si nous savons à l'avance
qu'il n'y aura pas d'avantage pour nous
nous avons tellement
de travail que nous préférons passer. C'est souvent
dommage pour les petits salons, mais si nous devions répondre
"présents" à chaque fois, il n'y aurait
plus personne pour faire tourner la boutique, comme on dit. Il y
a de plus en plus de salons. Et aujourd'hui, il y a des incontournables,
comme le Salon du Livre de Paris ou Etonnants Voyageurs à
St Malo. Si nous ne pouvons pas participer à un petit salon,
nous essayons quand même d'aider celui-ci, par un geste, au
moins. Notre priorité l'année passée était
le Collector's Rendez-Vous, qui s'est tenu à la Salle Wagram,
à Paris, les 27 et 28 octobre dernier. Bragelonne
y était responsable du pan littéraire. Tous nos auteurs
étaient là, les français, bien sûr, mais
aussi Louise Cooper et Stan Nicholls.
C'est la plus grosse convention de SF, multimédia, sur Paris,
et peut-être même en France. De plus, c'est une convention
organisée par la boutique Arkham, ce qui veut dire que les
moyens sont à la base limités (pas de subvention),
et pourtant, c'est la troisième fois que cette convention
a lieu, et ça va de mieux en mieux.
23/ Et un salon organisé et géré
par Bragelonne,
un jour, ça vous dirait ?
Houlà, houlà
Trop de boulot
pour le moment. Mais nous sommes partenaires du Collector's Rendez-Vous,
et espérons bien nous investir davantage dans ce festival
avec le temps. Je ne crois pas que dans notre microcosme un éditeur
puisse être crédible en lançant un festival
sous sa seule bannière. C'est un travail à plusieurs.
Ce n'est pas comme s'il y avait cent mille lecteurs de Fantasy en
France capables de se déplacer uniquement pour entendre des
gens parler de livres qu'ils ont lus
Non, pour que cela fonctionne,
il faut une démarche atypique, avec des gens soudés.
24/ Le monde de l'édition paraît souvent
bien nébuleux vu de l'extérieur. La concurrence est
rude, et les coups bas existent. Est-ce difficile de passer au travers
? S'accommode-t-on de ce climat particulier ?
Un monde est toujours nébuleux, quand il
est vu de l'extérieur (ce sont les différentes couches
de gaz avant de rentrer dans l'atmosphère). L'édition
a ses règles, tout comme la boulangerie ou l'industrie pharmaceutique,
par exemple. La concurrence n'est pas rude, elle est normale. Là,
c'est une loi du marché à laquelle on ne peut pas
échapper. Maintenant, je ne l'ai pas encore subie
Ça
viendra certainement. Tant mieux, ça nous obligera à
devenir meilleurs. Quant aux coups bas ? J'en ai plus vécu
dans la presse que dans l'édition. En revanche, il y a souvent
des guerres de chapelles. Ceci est lié au fait que nous sommes
dans une littérature de genre. Mais ces problèmes
ne concernent pas le grand public, qui n'est pas au courant la plupart
du temps, et qui de toute façon s'en moque. Son souci, c'est
d'avoir des livres, peu importe qu'ils viennent de chez Pierre,
Paul ou Jacques. Personnellement, les guéguerres, je m'assois
dessus. Je n'ai pas le temps de me soucier des querelles intestines.
Je laisse ça aux gens qui en retirent la sensation d'exister.
C'est assez triste, mais aujourd'hui ça me laisse froid.
J'entretiens de très bons rapports avec la majorité
des éditeurs, comme J'ai lu, l'Atalante, Pocket ou Fleuve
Noir et j'ai déjà le sentiment d'être passé,
au bout d'un an, dans la cour des grands. Je n'ai finalement pas
eu à m'accommoder à ce climat, je vivais déjà
dedans grâce à SFMag.
25/ Où vous voyez-vous d'ici quelques années
?
Par terre, en train de rire !
Propos recueillis par Gillossen
au tout début de cette année.
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