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Albin Michel Imaginaire - Gilles Dumay

Alors que 2023 se termine à peine, quel serait votre premier bilan, à chaud, concernant votre maison ou même la situation globale ?

2023 a été une bien meilleure année que 2022. D'après mes calculs, je fais +96% en papier + 21% en numérique et le résultat net des cessions (livres de poche, audiolivres) est en augmentation. ''Morgane Pendragon'' de Jean-Laurent Del Socorro est la meilleure vente de l'année. La victoire est nette et franche, comme une coupure. Derrière, c'est très serré entre ''L'Affaire Crystal Singer'' d'Ethan Chatagnier (un titre entre la SF humaniste et la littérature générale), ''Les Cartographes'' de Peng Shepherd (une fantasy urbaine, parfois classée en fantastique) et ''Les Terres closes'' le dernier volume des Maîtres enlumineurs, la saga de fantasy cyberpunk de Robert Jackson Bennett.

Avez-vous retenu un événement ou une décision particulièrement marquants ? On songe aux incertitudes du marché, entre explosion de la romantasy et éditeur bien connu dans la sphère Imaginaire à deux doigts de disparaître. Mais il peut s'agir d'autre chose, évidemment !

La romantasy, c'est rigolo... d'une certaine façon, son succès m'a permis de lancer mon premier projet de livre relié : ''La Cité des marches'' de Robert Jackson Bennett, fin février.
Après, je ne suis pas sûr que ça soit le fait marquant de 2023. Je vous rejoindrais plutôt sur les mort et résurrection des éditions ActuSF, double-événement qui rappelle à quel point le marché est compliqué pour des petites structures, et que des remous comme la crise du COVID, ou certaines décisions de leur distributeur sur lesquelles ils n'ont eu aucun poids ont eu des répercussions brutales, pour ne pas dire dramatiques. Il m'a semblé voir à cette occasion se cristalliser une sorte de réaction collective, de petit mouvement de défense. L'époque est à la concentration économique (et plus il y aura de crises, plus cette accumulation de tensions favorisera la concentration) ; dans les domaines de la culture, c'est toujours un peu inquiétant. Il serait dommage qu'il arrive à l'édition française ce qui est arrivé à « l'esprit canal ». L'imaginaire c'est un peu les Guignols de l'info, c'est un espace de liberté et d'irrévérence, d'outrage et de rébellion, qui pose les bonnes questions (à défaut de toujours apporter les bonnes réponses). Enfin, c'est comme ça que je le vois. Le jour où on perd ça, on perd peut-être pas tout, mais l'essentiel.

Quelle place pour la fantasy dans votre programme 2024 ?

Enorme. C'était pas prémédité, je n'ai pas opéré un mouvement conscient vers la fantasy. C'est juste que les projets les plus excitants qui sont arrivé dans ma boîte mail ces dix-huit dernier mois relevaient plutôt de la fantasy que de la SF. Même le roman d'Emilie Querbalec, ''Les Sentiers de Recouvrance'', possède dans sa pulpe une part de merveilleux, d'onirisme, de magie, tout en relevant d'une SF très proche, une fois encore, de celle d'Ursula K. Le Guin. Ceci précisé, les choses sérieuses (en fantasy) commencent avec ''La Maison aux Pattes'' de poulet de GennaRose Nethercott, le 31 janvier. Un conte pour adultes, cruel et magique, une réécriture de l'histoire de Baba Yaga et des peines de l'Ukraine. Un roman salué par une presse incroyable et qui a eu un très beau succès aux USA. Fin février, on change complètement d'univers avec ''La Cité des marches'' de Robert Jackson Bennett, premier volume de la trilogie des Cités divines. J'ai préféré cette saga à celle des Maîtres enlumineurs : il y a moins de scènes d'action à la « Marvel cinematic universe », c'est plus subtile, un brin lovecraftien. L'ambiance est très originale, on est entre le steampunk et la fantasy épique viking. Vous n'oublierez jamais Sigrud. En mai, Conan revient au premier plan, sous la plume française de Laurent Mantese, professeur de philosophie, qui dans ''La Sonde et la taille'' nous montre un Conan roi des sept nations, âgé (83 ans), malade (une infection urinaire qui a « métastasé » dans un de ses testicules) et père d'un jeune handicapé mental. Mantese livre à la fois un vrai roman de Conan et une réflexion sur le pouvoir, la vieillesse, la maladie et la mort. Il y a aussi dans cette épopée barbare, comme la très bien remarqué Didier Graffet, une certaine déconstruction de la masculinité. Mantese écrit tout cela dans un style flamboyant et baroque qui m'a rappelé celui de Cormac McCarthy sur ''Méridien de sang''. Inutile de faire une liste de trigger warnings : tout est au programme. Si la romantasy se déploie à un bout de l'univers littéraire, ''La Sonde et la taille'' flamboie à son extrême opposé. Enfin, au second semestre, je publierai la suite des Cités divines : ''La Cité des lames''.

Enfin, quel sera votre plus grand défi pour cette nouvelle année ?

Faire mieux qu'en 2023. Je me suis fixé un objectif chiffré assez haut. On va voir si je vais y arriver.


''Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière.''