Etrange, très étrange ouvrage que ce "petit" roman de Roger Zelazny... Court, amer, on retrouve une fois de plus la plupart de ses thématiques classiques, (les univers multiples, les personnages aux capacités extraordinaires, par exemple...) mais le plus souvent dépourvu de cet humour que l'on côtoie généralement en complément, du moins, dans ses aspects les plus légers.
L'histoire ne recherche pas vraiment la complexité, les péripéties se révélant finalement peu nombreuses, les coups de théâtre tout autant, et le décor de cette histoire à l'espoir crépusculaire très vite planté. Les personnages, rarement véritablement attachants, peuvent toutefois se prétendre tour à tour surprenants ou furieusement antipathiques.
Mais le monde dans lequel ils évoluent se montre si "dérangeant" lui aussi, mystérieux, loin de repères classiques, et pourtant si proche de temps à autre - là encore comme ailleurs chez Zelazny, son imagination fait merveille - que les différents protagonistes semblent avant tout victimes de mécanismes qui les dépassent. Et le Jack dont on suit la déchéance et la vengeance incarne justement à cet effet un parfait anti-héros, égoïste et intraitable.
Le roman lui-même contient son lot de non-dits, et la conclusion en suspends laisse le lecteur avec cette impression de demeurer vraiment spectateur, sur le fil. En ce sens, l'auteur atteint parfaitement son objectif. Pour autant, le Maître des ombres - ici dans une édition à la traduction révisée - demeure un roman quelque peu atypique, et surtout plus sombre qu'un Ambre ou un Lord Démon. Ce qui n'empêche pas qu'on le lise également d'une traite... Si vous ne vous sentez pas déroutés !
— Gillossen