Elbakin.net logo
Skip

Cinquante fleurs pour te briser le cœur

Pas de couverture

Résumé

Une attraction d'autoroute hors-norme : "L'escalier de l'éternité" ; une collection de fleurs monstrueuses ; une femme qui se transforme physiquement pour répondre aux désirs de son amant artiste ; des souvenirs de chasse, des bris de guerre et des histoires d'amour qui commencent ou prennent fin.

Chronique

On avait découvert GennaRose Nethercott en France il y a à peine un an et demi, avec La Maison aux pattes de poulet, roman singulier qui revisitait les mythes slaves et notamment la figure de Baba Yaga.
Avec Cinquante fleurs pour te briser le cœur, l’autrice quitte le terrain du roman pour explorer celui de la nouvelle, voire de la forme brève expérimentale. Quatorze textes - sans aucun lien entre eux - composent ce recueil, autant de variations sur les blessures du cœur et les failles intimes, transposées dans un bestiaire fantasque où le merveilleux et le grotesque s'entremêlent.
Difficile de réduire ce livre d'à peine 250 pages à une seule ambiance, tant Nethercott joue sur des registres différents, passant du conte au récit contemporain. Elle affectionne les structures variées - inventaires, fausses encyclopédies... - qui confèrent à l’ensemble cette tonalité changeante, chaque histoire cherchant sa propre forme avant de se révéler pleinement. Ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style (et l'est, parfois, notamment, à mon sens, dans Un abécédaire de la divination) devient ici une manière de restituer le caractère volatil des émotions : la passion, le manque, le désir de réparation ou de possession ne se laissent pas enfermer aisément, ils mutent, ils s’incarnent sous les traits d’animaux fabuleux, de revenants absurdes ou d’escaliers sans fin.
Et la grande force du recueil tient justement à ce décalage permanent. Nethercott n’écrit pas pour nous rassurer ou nous tenir la porte : elle saisit la beauté dans ce qui dérange, elle fait affleurer l’étrange au détour d’une scène banale. Un été adolescent se transforme en vertige inquiétant, un corps se déforme pour répondre aux attentes de l’autre, un coq mort-vivant enquête sur les secrets des vivants, une femme chêvre est rattrapée par le destin… L’autrice ne cherche pas la terreur brute, mais plutôt ce léger frisson qui dérange et persiste quand on ferme le livre et qui nous rappelle que la tendresse, elle aussi, peut prendre les traits d'une bête sauvage.
Reste que toutes les nouvelles ne se valent pas : si beaucoup sont à la fois intrigantes et marquantes, une poignée, surtout dans la première moitié du recueil, paraissent s’égarer au gré de leurs propres circonvolutions. L’inventivité formelle prend parfois le pas sur l’émotion ou même la clarté du propos, et l’on sort de quelques récits sans trop savoir sur quel pied danser. Bien sûr, c'est un parti pris en soi et ce n'est pas moi qui vais prétendre ne pas apprécier les nouvelles aux chutes ambiguës, ou qui laissent le lecteur choisir ! Cependant, on en ressort pas même vraiment frustré mais plutôt perplexe... Petit regret tout personnel. 
Lorsque la magie opère, elle s'avère en revanche tout bonnement redoutable : l’écriture, précise et évocatrice, sait condenser en quelques pages tout un univers en miniature qui fait mouche, en particulier les dernières nouvelles que l'on dévore goulument.
Avec Cinquante fleurs pour te briser le cœur, GennaRose Nethercott confirme en tout cas qu’elle n’est pas seulement une romancière talentueuse, mais une voix assurée qui sait manipuler folklore et archétypes pour créer les miroirs déformants où se cachent, jamais très longtemps, nos peines les plus universelles. Légèrement inégal comme quasiment tous les recueils, mais riche de visions marquantes, il s’impose comme une nouvelle preuve de l’originalité d’une autrice à suivre de très près.
Et quand on sait combien les gens sont, malheureusement, encore réticents face aux recueils de nouvelles, sous forme de fix-up ou pas, on peut saluer Albin Michel Imaginaire pour cette publication (cartonnée), qui plus est magnifiée par les illustrations intérieures de Bobby DiTrani et la somptueuse couverture d'Anouck Faure.
Cinquante fleurs pour te briser le cœur sort le 1er octobre. 


Gillossen

En discuter sur le forum