They will fear you and flee you and call you a monster.
Stone Blind est sous-titré « l’histoire de Méduse » mais c’est à la fois trop et trop peu pour qualifier ce volume. Si vous vous imaginez que ce roman s’articulera autour de la seule figure de Méduse, et de son histoire, ce n’est pas le cas. La Gorgone ponctue plus le récit qu’elle n’en est le cœur.
La vie de Méduse se dévoile au fil des pages au travers de ses interactions avec autrui, que ce soit avec ses sœurs, Sthéno et Euryale, avec les Dieux - tout particulièrement Athéna et Poséidon - et comme objet de la quête de Persée. Elle est à la fois le cœur de toutes les intentions et la narratrice de certains épisodes clefs. Mais il y a également toutes les autres, qui font la richesse de Stone Blind. Cette polyphonie, ces voix de femmes qui racontent l’outrage, le viol, la perte, l’amour, la maternité dans un ouvrage qui sonne juste et qui suscite, chez le lecteur, toute une vague d’émotions, du rire aux larmes – qu’elles soient de colère ou de tristesse. Certains narrateurs sont inattendus, touchants et surprenants, mais nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher la surprise.
Les épisodes relatés semblent de prime abord annexes mais convergent tous vers un dénouement commun. Chaque rivalité divine, chaque querelle, chaque injustice rapproche Méduse de sa fin, connue. Mais pourtant, la nature plurielle de la narration nous offre un regard différent qui nous amène à souhaiter que le sort puisse être inversé, que les chemins puissent être différents et l’on s’accroche à ce roman, page après page, toujours avec ce sentiment que l’inexorable se rapproche. Ce n’est pas la victoire de Persée que l’on appelle de nos vœux, un Persée aussi inutile qu’infantile, « un sac de viande sur pattes », comme le dit Athéna, qui va tuer la Gorgone sans se poser de question. Pour nous, lecteurs de fantasy, l’interrogation sur la figure du monstre nous est peut-être plus familière, mais ce dernier n’est-il pas aussi celui qui avance sans se poser de questions et sans avoir à craindre les conséquences car il est le fils de son père ?
Natalie Hayes est suffisamment à l’aise avec son propos et sa plume pour nous proposer de courts chapitres qui arrivent à dépeindre avec la même efficacité des scènes violentes, poignantes ou drôles. Alors on tourne la page, et à chaque nouveau chapitre, le nom d’un nouveau narrateur nous interpelle, et l’on avance ainsi dans le récit de façon fluide sans pour autant avoir l’impression que le rythme de l’intrigue nous échappe. Tout est finement construit, tant dans l’alternance des différentes émotions, dans les réflexions suscitées que dans l’agencement des différents narrateurs.
Avec Stone Blind, Natalie Hayes nous offre une réécriture vivante, nuancée et mouvante du mythe de Méduse. Les fils de l’intrigue se nouent et la trame se dessine au fur et à mesure, liant les narrateurs dans un récit choral qui réhabilite Méduse tout en rappelant la vacuité d’un monde où, pour les Dieux, les autres ne sont que des pions.
— Alethia