Le Pays sans Lune constitue un roman déroutant, en bonne partie volontairement.
Simon Jimenez, dont le précédent roman relevait de la pure SF, s'essaie en effet ici à la fantasy en misant sur une immersion brut de décoffrage (oui, cela peut sembler antinomique, mais vous allez comprendre). C'est tout un univers que le lecteur découvre sans détour, un monde vibrant de mots inventés, de titres, de lieux, de légendes (Ah, la Lune...), qui toutes et tous ne manquent en général pas de majuscules. De même, l'auteur a recours à la deuxième personne du singulier, ce qui ne représente pas la narration la plus courante, en fantasy ou ailleurs. Et encore, entre autres procédés !
Est-ce que tout cela "sonne" artificiel, est-ce que tout cela n'est utilisé que pour pouvoir mettre en jeu la carte de l'originalité, une carte brandie bien souvent comme un ultime recours ? C'est vrai que l'on se dit parfois que Jimenez aurait probablement été capable de raconter la même histoire sur le fond sous un autre angle. Mais n'est-ce pas le cas de n'importe quelle histoire, finalement ? Il faut dire que la plume de l'auteur - soulignons la traduction de grande qualité signée Patrick Dechesne - impressionne souvent par son lyrisme, son pouvoir d'évocation. L'histoire proprement dite, à la fois intime, (mine de rien) sombre ou épique, ne nous prend pas par la main mais nous conduit très loin sur la route de Keema et Jun. Il y a une vraie beauté dans l'adversité.
Mais, malgré tout, il m'a, à titre tout à fait personnel, manqué un peu d'affect avec ces personnages ou même cet univers vertigineux. Il ne faut pas "redouter" son entame, le roman n'est pas si exigeant que cela avec le voyageur. Il entretient toutefois une certaine distance avec le lecteur qui ne s'estompera pas chez tout le monde, de même que sa densité peut entraîner quelques longueurs. On pensera notamment à quelques seconds rôles ne méritant peut-être pas toutes les pages qui leur sont consacrées.
Le Pays sans Lune est un très beau livre. Et s'il ne réinvente pas la fantasy (c'est tout de même ce qu'avançait la présentation de J'ai Lu), on ne lui en demandait quoi qu'il en soit pas tant !
— Gillossen