Ormeshadow est une novella (une longue nouvelle donc) de Priya Sharma, qui s'est distinguée en remportant à la fois le Shirley Jackson Award 2020 de la meilleure novella et le le British Fantasy Award 2020 de la même catégorie. C'est un texte sombre, une succession de tranches de vie qui s'enracinent autour d'une terre connue pour, selon les légendes familiales de la famille Belman, abriter des dragons, Du moins, autrefois...
Autant le dire tout de suite, on est vite convaincu par les différents portraits et les études de personnages sous la plume de l'autrice et par cette plongée dans une autre Angleterre victorienne, bien loin des rues crasseuses de Londres, pour une fois (et tant mieux !). Toutefois, attention : le ton est sombre, l'ambiance morose et il n'y a, pour ainsi dire, pas un seul personnage pour rattraper l'autre.
Si l'on met de côté le pauvre Gideon, que l'on pourrait trouver un peu trop naïf lui-même au fil du temps, ou la triste Eliza au destin brisé (mais surtout piétiné par tous ceux qui l'approchent, excepté justement Gideon), la très grande majorité des protagonistes n'a pas grand-chose à proposer aux lecteurs pour se racheter de défauts plus qu'évidents. Que ce soit Thomas, l'oncle colérique de Gideon, ses deux cousins, sa mère, elle aussi, ou plus largement la population locale engoncée dans ses idées à courte vue et ses petites médiocrités de la vie de tous les jours… Et en fait, difficile de leur trouver des circonstances atténuantes réellement valables, même si elles existent bel et bien pour certains d'entre eux. C'est peut-être le seul réel bémol du texte, que l'on peut tout de même souligner.
Pour le reste, les épisodes égrainés au fil des ans s'enchaînent de chapitre en chapitre, avec toujours dans l'ombre Ormeshadow et les traumatismes qui sont liés presque viscéralement à ce lieu, qui pourtant fascine encore. Et puis, alors qu'on se demande ce qui pourrait bien encore tomber sur la tête de Gideon, le final prend alors la tournure un peu plus "imaginaire" que l'on pouvait attendre. Sans tomber dans le deus ex machina, cette conclusion apporte une autre couleur à l'ensemble et une "respiration", douce-amère, certes, que l'on jugera bienvenue. Comme souvent avec la collection Une Heure-Lumière, il s'agit d'un texte dense, mais tout à fait accessible. Certaines formules restent en tête, évoquant des images qui font mouche, sans effet ostentatoire.
Par sa peinture tristement juste des travers de la nature humaine plus que par son vernis fantasy, Ormeshadow est une histoire qui reste en tête, un cri de douleur et de chagrin retenu trop longtemps dans une gorge nouée, qui se libère enfin du carcan d'une existence que l'on croyait toute tracée.
— Gillossen