Lorsqu’un auteur vous a habituée à publier un roman par an, difficile de ne pas trépigner d’impatience comme une petite fille sous le sapin de Noël quand l’offrande annuelle arrive dans votre boîte aux lettres. Et comme pour la petite fille qui n’aurait pas reçu le cadeau de ses rêves, la déception est rude quand le roman ne répond pas vraiment à vos attentes.
Soyons francs, l’univers déjanté de Gail Carriger commençait à s’essouffler depuis déjà quelques années. Prudence et Imprudence, les deux premiers tomes de la troisième série romanesque de l’auteure, cherchaient désespérément à faire du neuf avec du vieux, mais avaient au moins le mérite de distraire le lecteur. Ce n’est même pas le cas de ce Competence, qui recycle encore une fois les mêmes éléments, mais sans parvenir à viser plus haut qu’une publication Harlequin.
La plume de Gail Carriger est toujours délicieuse, les personnages toujours gentiment toqués, mais ce qui avait commencé avec Le Protectorat de l’ombrelle comme une série de livres bien construits, bénéficiant de scénarios réjouissants et parsemés de quelques personnages aux préférences sexuelles que la morale victorienne réprouve, s’est aujourd’hui transformé en plaidoyer gay et transgenre. Ici, le scénario est quasi-inexistant et l’essentiel du roman tourne autour de l’histoire d’amour entre Primrose et Tasherit, déjà largement suggérée au cours des deux tomes précédents. La nouvelle espèce de vampires sud-américains aurait pu constituer une vraie bonne piste, mais ces derniers sont cruellement sous-exploités et n’apparaissent finalement que dans les 50 dernières pages – un temps de présence bien trop court pour ne pas les considérer comme une simple excuse au périple Égypte-Lima du Flan Tacheté.
Carriger est ainsi passée d'un steampunk peu regardant sur l’orientation sexuelle de ses personnages à de la romance pure et dure dans un cadre vaguement steampunk. Le genre n’a évidemment rien de problématique en soi (chez certains éditeurs, Competence se classerait même largement dans le haut du panier), mais pour un lecteur davantage attaché au cadre et aux créatures surnaturelles qu’à la composante romance, le changement est assez déstabilisant. Dans un roman qui compte des vampires, un fantôme et une lionne-garou, il est tout de même ironique de devoir tiquer sur la tolérance inouïe qui règne sur ce dirigeable (rappelons que nous sommes en 1896)…
Ce changement de direction expliquerait-il pourquoi l’auteure s’est lancée dans l’aventure de l’auto-édition ? Après quelques novellas et un roman d’urban fantasy, Carriger publie aujourd’hui Competence sous son propre label. Et bien qu’elle affirme vouloir raconter à sa façon les histoires qui lui tiennent à cœur, on peut se demander si l’éditeur d’origine ne serait pas devenu frileux en constatant le virage qui s’opère depuis le début de cette série.
Toutes les meilleures choses ont paraît-il une fin, mais il reste douloureux de voir un univers de fantasy si original prendre la direction d’une simple série à l’eau de rose…
— Saffron