Comme d'autres livres avant lui, Frankenstein 1918 souffre d'une quatrième de couverture désirant un peu trop nous en dire. Deux ombres planent sur le récit, ou plutôt trois : celle de Victor Frankenstein, héros de Mary Shelley, celle de la Créature à laquelle il a donné vie, celle de la Grande Guerre enfin. Le passé que nous narre Johan Heliot n'est pas le nôtre. Outre l'héritage même de Victor Frankenstein, l'issue de la guerre a changé et l'Europe qui s'en est suivie également... Les carnets d'un professeur désirant étudier des heures sombres de la Grande Guerre (ou plutôt, « Guerre Terminale » ici) permettent petit à petit de se familiariser avec cet univers, accompagnés d'autres témoignages.
Le travail de Johan Heliot est alors fin, subtil, nous présentant un monde moderne de manière fluide, reprenant les événements d'une Histoire que l'on connaît pour les tordre juste assez pour que le cours de celle-ci prenne des embranchements différents. Malgré cela, malgré cette France qui n'est pas celle que l'on connaît, cette Angleterre, cette Europe, c'est un véritable devoir de mémoire que l'on lit. La Guerre est-elle une simple toile de fond ? Non.Le roman est sommes-toutes, assez court, et l'horreur de la guerre nous y est présenté sans artifices avec ses batailles, ses décisions désastreuses et ses conséquences. Victor, créature revenue d'entre les morts grâce aux notes de Frankenstein, est également l'héritier spirituel de la Créature du roman d'origine. On y notera d'ailleurs de légers clins d’œil sans que cela n'alourdisse le texte.
Crépusculaire, profondément humain aussi, tout dans le récit n'est que témoignages, comme en écho à la forme épistolaire du roman de Mary Shelley. L'horreur y est ordinaire, ce sont les batailles, les morts, ceux que l'on ne laisse pas reposer en paix, ceux que l'on oublie pour un « bien commun » jugé plus important, ceux qu'il est douloureux de laisser partir... Les premières clés données au professeur pour déchiffrer les mémoires de Victor, le sont par un mari en deuil. La Guerre est un bourbier et la France, comme l'Angleterre qui doivent en subir les conséquences, deux sortes différentes de cimetières...
Est-ce que le livre n'est pas légèrement trop court ? On peut le penser, parce qu'il y a quelque chose de fascinant dans cet univers que l'on maîtrise sans le maîtriser tout à la fois. Hommage à une romancière iconique, hommage à notre Histoire, à ceux qui se sont battus, qu'ils aient le choix ou non, Frankenstein 1918 est aussi un vibrant hommage à la vie.
— Nephtys