Après Servir Froid, Les Héros représente le deuxième roman de Joe Abercrombie depuis son arrivée chez Bragelonne. Lui aussi peut se lire indépendamment de sa trilogie originelle, même si le lecteur novice y perdra quelques subtilités et autres allusions aux romans précédents.
Celui-ci découvrira en tout cas tout ce que les autres connaissent déjà quant au style de l’auteur : une plume acerbe, des personnages hauts en couleur, des dialogues percutants et qui restent facilement en tête…
Oui, mais voilà, c’est bien là où le bât blesse cette fois.
Car c’est un peu tout ce que l’on aura à se mettre sous la dent une fois parvenu au terme de cette terrible bataille. En effet, l’intrigue elle-même s’avère pour le moins plate et sans réelle saveur. Le conflit sanglant dont la quatrième de couverture nous rebat les oreilles n’a finalement guère de grandes conséquences et sa violence n’a rien d’un véritable argument. Oui, la guerre, c’est mal. Oui, les simples soldats ne sont le plus souvent que de pauvres victimes eux-mêmes, au gré des intrigues de pouvoir qui se nouent et se dénouent bien loin du champ de bataille, de la boue, du sang, de la mort. Le message d’Abercrombie s’avère aussi limpide qu’un peu vain au bout du compte.
Avec Les Héros, on a donc l’impression de toucher du doigt par la même occasion les limites de l’auteur. Alors, oui, c’est bien beau de savoir raconter une histoire, de multiplier les points de vue crédibles et loin des stéréotypes (après tout, nombre d’auteurs ne sauront jamais le faire...), mais Joe Abercrombie semble avoir perdu de vue que le récit, tout efficace qu’il soit, devrait toujours rester au service de l’intrigue. Et quand on songe qui plus est à la comparaison avec Kurosawa émise par le Time Magazine, on ne peut que la considérer pour le moins osée, voire incongrue, tant ce roman manque de la gravité et de la profondeur que l’on retrouvait dans les longs métrages du maître.
Il faut dire que les personnages eux-mêmes, pour intéressants qu’ils soient, font souvent pâle figure par rapport aux précédentes créations de l’auteur. Et après une introduction un peu « plan-plan », leurs aventures, aussi sombres et intenses soient-elles, ne décollent jamais véritablement. On attend, on attend… mais voilà que le roman touche déjà à sa fin.
En soi, difficile de savoir sur quel pied danser avec ce nouveau Joe Abercrombie : car sur la forme, les forces de l’auteur se révèlent toujours présentes et difficile de nier que l’on prend un certain plaisir à la lecture. Malheureusement, on se rend compte bien vite que les choses s’arrêtent là. Pour certains, ce sera sans doute (largement) suffisant. Toutefois, de la part d’un écrivain de cette trempe, on estime être en droit d’en réclamer bien davantage. Un peu à l’image de l’objet livre lui-même : il attire l’œil par son apparence soignée, mais l’investissement (de l’auteur aussi d’ailleurs) n’est pas tout à fait à la hauteur.
Rideau !
— Gillossen