Drôle de roman que celui de Glen Duncan.
Si le résumé ne vous avait pas déjà renseigné sur ce point, sachez que nous sommes donc très loin d'un De Bons présages par exemple. La dimension fantasy que l'on pourrait accorder à l'ouvrage est de fait assez chiche, mais ce n'est certes pas une raison pour ne pas l'aborder dans nos modestes colonnes !
Avec Moi, Lucifer, l'auteur nous livre avant tout un portrait déguisé de notre société et plus globalement de l'humanité elle-même. En insistant bien sûr sur ses travers par le biais de son narrateur volontiers moqueur. A cette fin, Duncan alterne passages où l'on retrouve Lucifer dans la peau de son hôte, à notre époque, et souvenirs de sa propre histoire (sa Chute) ou de la nôtre. Dans ce domaine, on gardera longtemps en mémoire les chapitres dédiés à une chasse aux sorcières ou bien à Himmler. Assurément, l'auteur sait se montrer glaçant ou tristement cru.
Toutefois, l'humour marque évidemment au fer rouge cet ouvrage, et plus particulièrement une ironie mordante, dont les échos sont parfois désespérés (la rencontre de Declan Gunn avec un gigolo...), comme si Lucifer cherchait à s'en faire une armure sans jamais y réussir tout à fait, malgré sa longévité et son expérience. Là encore, ne vous attendez pas forcément à rire aux éclats, mais plutôt à afficher un rictus plus ou moins marqué.
Terriblement lucide, il promène son regard sur une faune rampante qu'il semble chérir et mépriser tout à la fois. On pourrait croire, à l'aune notamment des considérations diverses et variées prenant constamment le lecteur à témoin (littéralement du début à la fin), que le tout n'est qu'un assemblage un peu vain de scènes vaguement reliées les unes aux autres le temps du "pari" accepté par Satan, saupoudré de quelques tournures de phrase amusantes - on songe à ce titre aux surnoms donnés à Dieu ou aux Archanges, qui en prennent, évidemment, pour leur grade.
Mais ce serait dès lors occulter l'émotion, sincère, qui finit par apparaître au détour de certains passages, de même que les 40 ou 50 dernières pages du roman qui s'orientent dans une direction quelque peu différente. Mais voilà que l'auteur referme déjà cette parenthèse désenchantée. Et, au final, malgré les apparences, son Lucifer aura su jusqu'au bout conserver une part de mystère, se gardant bien de dévoiler sa véritable nature.
A la fois séducteur et repoussant, fidèle à l'imagerie entourant son personnage et capable de prendre le lecteur à contre-pied, Lucifer, et celui qui lui prête ici sa plume par le biais de ce roman, intriguent et fascinent.
— Gillossen